Des scientifiques cherchent comment établir des coopérations équitables.
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Deuxième partie de cet article.
Selon une étude réalisée en 2017, les chercheurs africains estiment que l’excellence dans le domaine de la recherche consiste à « attirer l’attention sur des questions sociétales », « contribuer directement au bien-être de communautés défavorisées », ou encore favoriser de « nouveaux développements technologiques ».
Toutefois, un tiers des personnes interrogées ont indiqué que le manque de financements et des insuffisances en infrastructures présentaient des obstacles lorsqu’il s’agissait d’atteindre l’excellence.
Les pays ne financent pas assez
Les pays membres de l’Union africaine s’étaient engagés à consacrer au moins 1% de leur produit intérieur brut à la recherche et au développement à compter de 2010 au plus tard, mais aucun d’entre eux n’a atteint cet objectif. En 2019, seulement 0,9 % des dépenses globales en R&D provenaient d’Afrique, loin derrière l’Amérique du Nord (27 %) et l’Europe (21 %).
L’Afrique continuera donc de dépendre de partenaires de recherche aisés dans les pays du Nord. Mais Judy Omumbo, directrice de programme senior à l’Académie africaine des sciences (AAS) au Kenya, voudrait que ce soutien prenne la forme de financements stratégiques à long terme qui permettraient aux Africains de mener des recherches compétitives sur la plan global et de construire sur le continent des économies fondées sur le savoir.
Les bourses FLAIR
« Il nous faut des financements qui aident à améliorer les pratiques scientifiques dans les pays du Sud », explique-t-elle.
C’est un changement de paradigme au niveau des partenariats que l’AAS cherche à promouvoir avec ses bourses Futurs Leaders de recherche indépendante africaine (FLAIR). Il s’agit d’un partenariat avec la Royal Society, soutenu par le Fonds de recherche pour les défis mondiaux (GCRF) du Royaume-Uni.
Défis mondiaux
« FLAIR est unique en ce sens que c’est une bourse qui est suffisamment élevée pour permettre à un chercheur de réaliser des travaux indépendants tout en développant ses compétences en recherche », précise J. Omumbo.
FLAIR est ouvert aux chercheurs africains en début de carrière qui travaillent sur des défis d’échelle mondiale, auxquels font face les pays en développement. La composition du premier groupe de chercheurs a été annoncée en 2019. Sarah Fawcett, océanographe et climatologue à UCT en fait partie.
De l’argent aux jeunes chercheurs africains
Elle estime qu’il est positif de voir cette bourse donner de l’argent à de jeunes chercheurs africains « plutôt qu’à un partenaire du nord avec un effet de ruissellement vers l’Afrique ». Elle soupçonne néanmoins qu’il y a des tensions entre les bailleurs de fonds britanniques et l’AAS, basée au Kenya.
« Le nord continue de faire sentir sa présence, précise-t-elle. Ceci étant, les bailleurs de fonds consentent un gros investissement et tentent de favoriser l’autonomisation. C’est comme cela qu’on commence à faire évoluer les choses. »
Recherches compétitives
Sarah Fawcett, de même que Salome Maswime, directrice de la chirurgie globale à l’université du Cap, en Afrique du sud, fait partie d’un groupe de chercheurs d’élite membres de la cohorte 2020 du Programme jeunes scientifiques du Forum économique mondial.
Reconnue pour ses contributions aux recherches sur le climat dans le domaine de la chimie des océans et de la biologie, ses travaux sont résolument ancrés en Afrique du Sud. Ils sont un exemple de recherches dirigées localement qui sont globalement compétitives.
Investissement de long terme
« L’océan Austral est le plus grand levier dont nous disposons au niveau de la réaction de l’océan face à l’augmentation des émissions de dioxyde de carbone et en Afrique du Sud, nous pouvons y accéder sans entraves », déclare-t-elle.
Ses recherches bénéficieront du soutien de la Plateforme d’infrastructure de recherche en biogéochimie (BIOGRIP). Cette initiative qui s’inspire de la feuille de route sud-africaine pour l’infrastructure de recherche, est réalisée en partenariat avec l’Union européenne. Elle représente un effort manifeste pour fournir un investissement de long terme dans l’avenir de la recherche dans le pays.
Processus de codéveloppement
Pour des chercheurs tels que Sarah Fawcett, l’impact de BIOGRIP sera significatif. Elle estime que « nous pouvons non seulement recueillir nos échantillons depuis un vaisseau de recherche africain au beau milieu de l’océan austral, mais aussi les analyser dans un laboratoire africain et publier une étude conduite par des Africains qui a une portée mondiale. »
L’infrastructure technique que BIOGRIP doit apporter permettra aussi au sud de jouer un rôle de chef de file dans les collaborations internationales. Sarah Fawcett souligne cependant que ce rééquilibrage ne pourra se faire qu’à travers un processus de codéveloppement.
Améliorer les collaborations
« La seule façon de progresser vers de véritables collaborations, c’est de définir les objectifs au tout départ avec tous les partenaires autour de la table, et les associer à une évaluation continue », ajoute-t-elle.
L’Afrique du Sud arrive troisième au classement global des pays les plus riches en biodiversité et offre un accès à l’océan atlantique, l’océan indien et à l’océan austral. Il s’agit aussi du pays le plus prospère d’Afrique.
Avantages et responsabilités
Selon le Rapport sud-africain sur l’activité de recherche publié en 2019, l’Afrique du Sud parvient à « jouer dans la cour des grands » en matière de production de recherches, de conclusions et de collaborations internationales.
Pour Salim Abdool Karim, directeur du Centre pour le Programme de recherche sur le sida en Afrique du sud (CAPRISA), avec de tels avantages, il faut aussi savoir assumer des responsabilités.
Des collaborations équitables
« Quand on développe des partenariats dans le domaine de la recherche, il faut savoir penser au long terme. Vos collaborateurs vont être vos compétiteurs, et votre rôle est de vous assurer qu’ils sont d’excellents compétiteurs. »
Ceci est vrai pour les partenariats avec le nord et sur le continent : « Nous collaborons avec [des pairs basés] aux Etats-Unis et en Europe ainsi qu’avec nos collègues en Afrique. Nous ne voulons pas avoir une relation inégale avec nos collègues en Afrique de même que nous ne voulons pas avoir une relation asymétrique avec un collaborateur aux Etats-Unis », ajoute-t-il.
L’Initiative pour l’équité dans la recherche
L’Initiative pour l’équité dans la recherche (RFI) a pour vocation d’aider à atteindre ces buts. Il s’agit d’un outil d’auto-évaluation pour les institutions et les bailleurs de fonds qui les aide à identifier les forces et les faiblesses dans les politiques et les pratiques de collaboration en matière de recherche – et à les développer ensemble.
Avec 36 indicateurs, il demande aux organismes de faire état de leur approche dans des domaines tels que la résolution de conflits, les contrats, la gestion financière et les droits de propriété intellectuelle. Le rapport qui en résulte peut servir à développer et négocier une stratégie pour des partenariats équitables. C’est un processus exhaustif et complexe.
Besoin de pionniers
De fait, la RFI n’a publié que quatre rapports depuis 2018, dont un par le Programme spécial de recherche et de formation concernant les maladies tropicales de l’OMS et l’université Alioune Diop, au Sénégal. Le rapport de CAPRISA a été mis en veilleuse pour permettre au centre de faire face à la COVID-19.
« La RFI a besoin de pionniers qui vont montrer l’exemple. Cela ne nous dérange pas qu’il y ait des faiblesses. En fait, c’est notamment comme cela que nous allons travailler ensemble pour résoudre les problèmes et trouver de meilleures solutions », explique Salim Abdool Karim, qui ajoute que « l’important c’est que nous travaillions tous ensemble pour parvenir à notre destination et la RFI est utile en ce sens. »
Des bases pour l’avenir
Désignant 2021 comme l’Année des partenariats de recherche équitables, la RFI cherche à obtenir une plus grande reconnaissance de l’équité dans les partenariats de recherche et de leur potentiel en matière d’impact.
Pour Carel Ijsselmuiden, directeur du Conseil sur la recherche sanitaire pour le développement qui a lancé la RFI : « La communauté internationale de recherche va de crise en crise ». Qu’il s’agisse du paludisme, du changement climatique ou de la COVID-19, dit-il, les partenariats durables ne font jamais partie des priorités. « Il faudrait que le développement de partenariats prenne une place à part entière dans les collaborations et que nous développions des accords et des points de référence pour l’avenir », affirme-t-il.
La coopération internationale en recul
La collaboration et la coopération internationale sont en recul, selon The Lancet, qui a pris position avant la 75e session de l’Assemblée générale des Nations unies tenue en septembre 2020.
« La nécessité d’une coopération globale n’a jamais été plus évidente ou cruciale, selon la revue. Mais plutôt que de mettre en avant une vision partagée pour un avenir commun, les pays sont en train d’affaiblir la coopération globale à travers la montée du nationalisme, l’hostilité ouverte vis-à-vis des institutions internationales, et une tendance accrue à se concentrer sur leurs propres intérêts. »
Des perspectives d’espoir
L’impact de ces problèmes se fait sentir avant tout dans les pays du Sud et ces derniers y contribuent également. Mais pour Salim Abdool Karim, qui est aussi le co-président du Comité consultatif sud-africain sur la COVID-19, cette crise pourrait avoir des effets positifs à long terme.
« Il faut saisir toutes les opportunités lors d’une crise pour construire des bases solides pour l’avenir, dit-il. Avec la COVID-19, je crois que les choses commencent à s’améliorer. »
Laura Owings
Cet article est la troisième partie (sur trois) d’un article publié par SciDev.net que nous publions pendant trois semaines.