L’Afrique ne doit pas adopter le système scientifique du nord sans le critiquer.
Première partie de cet article.
Selon Salome Maswime, directrice de la chirurgie globale à l’Université du Cap (UCT), quand on est chercheur dans un pays du Sud, ce n’est pas inhabituel de faire ses débuts dans un partenariat de recherche suite à un appel spontané.
Elle confie : « J’ai été impliquée dans plusieurs études où j’ai été contactée par un groupe international qui m’a demandé de faire partie de son étude, généralement quand un dossier de financement exige qu’il y ait un partenaire dans un pays à revenu faible ou intermédiaire », ajoutant qu’« on entre dans ce partenariat sans bien savoir ce qu’on va faire et cela ne vous passionne pas vraiment. Mais vous voulez être associé à une bonne institution d’un pays à revenu élevé. »
Associé à une institution prestigieuse
Quand on est un jeune chercheur, poursuit S. Maswime, on joue le jeu parce qu’on veut publier des articles et obtenir des financements : « Dès que vous recevez ce mail d’une institution prestigieuse, cela vous fait du bien quelque part. Il y a quelqu’un qui vous a choisi et qui veut travailler avec vous » indique-t-elle.
Certes, toutes les collaborations ne suivent pas ce modèle, mais S. Maswime confie qu’elle a vu plusieurs jeunes chercheurs pris au piège de ce cycle : « Je dis ceci parce que je ne suis pas au début de ma carrière scientifique. Je peux regarder en arrière et dire qu’il y a une tendance qui se confirme. »
Approche descendante
Le recrutement à valeur symbolique est monnaie courante. Ce phénomène fait partie intégrante des rapports de force des collaborations de recherche financées depuis les pays du Nord, où les priorités des recherches sont fixées par eux plutôt que par les communautés qui réalisent les études et qui sont étudiées.
Les problèmes de cette approche descendante sont une des caractéristiques de ces partenariats. Une recherche documentaire employant comme mot-clef « collaboration Nord-Sud » révèle un ensemble d’obstacles, d’expériences, et de propositions de voies à suivre pour établir des partenariats plus équitables dans tous les domaines de la recherche sur le développement.
L’écart 10/90
Parmi elles, la Commission sur la recherche sur la santé pour le développement en 1990, qui révèle un « écart considérable » entre les priorités dans la recherche nord-sud qui peut rendre la collaboration contre-productive.
Décrivant ce qu’on désigne maintenant comme l’écart 10/90, elle a révélé que 90 pourcent de l’investissement global en recherche sur la santé ne concerne que 10 pourcent des problèmes sanitaires mondiaux.
Travail invisible
Plus récemment, un article de 2020 sur des projets germano-namibiens de recherche sur le climat a fait état d’un « double rôle » invisible joué par les chercheurs locaux qui sont responsables du travail de terrain, contribuent à l’analyse et permettent de gérer les questions culturelles.
Conclusion des auteurs : « Les chercheurs des pays du Sud portent un fardeau caché dans les collaborations internationales dont il faut adéquatement tenir compte. »
Personnel exploité
D’autres travaux font état d’emplois où le personnel local est exploité. Ils peuvent par exemple se trouver sans avantages tels que l’assurance maladie ou des perspectives d’emploi à long terme. Certaines recherches évoquent les luttes de pouvoir entre chercheurs de pays du Nord et du Sud, lorsque l’on demande à ceux qui tiennent les cordons de la bourse de jouer un rôle de soutien vis-à-vis du pays hôte.
Pour S. Maswime, « il y a des tas de publications sur ces partenariats, et pourtant, quelle distance nous sépare des ODD ? Certains reçoivent des prix Nobel pour des travaux faits en Afrique, mais les choses n’ont pas évolué. »
Tirer profit des inégalités
Ce ne sera pas facile de faire changer les choses selon Mia Perry, co-directrice de SFA (Sustainable Futures in Africa : Avenirs pérennes en Afrique). Ce réseau basé au Royaume-Uni, lancé en 2016 avec le Fonds de recherche pour les défis mondiaux, travaille avec des pôles au Botswana, au Malawi, au Nigeria, en Ouganda et au Royaume-Uni pour repenser les priorités du monde de la recherche sur une base éthique.
Selon M. Perry, « la recherche sur les questions liées au développement international est conduite par des individus et des institutions qui ont tiré et continuent de tirer profit des inégalités. Pour introduire de vrais changements dans ce système, des gens comme moi seraient contraints de se mettre dans des situations qui pourraient nous impliquer. C’est difficile à faire. »
Un faux universalisme
C’est d’autant plus difficile, selon elle, parce que la plupart des partenaires concernés estiment qu’ils travaillent à l’édification d’un monde meilleur. Cette dynamique qui voit le sud comme étant en « déficit » tandis que le nord est son « sauveur » dérive peut-être de bonnes intentions, mais elle est fondée sur une conception fausse de l’universalisme.
Pour M. Perry, l’universalisme est l’idée que les valeurs, les concepts ou les comportements sont partagés à travers tous les peuples dans toutes les parties du monde : « L’universalisme c’est très commode si vous venez des universités ou des institutions des pays du Nord. Dans les communautés de nos partenaires de recherche dans les pays du Sud, leur universel n’a rien à voir avec le mien. »
Critiquer l’héritage
Avec SFA, M. Perry maintient qu’il faut s’éloigner des démarcations géographiques du nord et du sud pour concevoir la recherche comme étant inter- et intra-connectée.
Il faudrait aussi abandonner les modèles de recherche traditionnels centrés sur le nord. Pour Mia Perry, une critique de l’héritage de la recherche et l’adoption d’une approche participative, culturellement responsable, et engagée s’impose.
« Toute question que nous examinons doit être considérée sous tous ses angles avec les scientifiques, des membres de la communauté et des décideurs politiques », ajoute-t-elle.
Science et culture
A vrai dire, en Afrique (et c’est aussi le cas dans d’autres pays du sud), la science n’est pas pleinement incorporée dans la culture locale. Les gens ne se tournent pas vers la science pour répondre à des questions relatives à leur vie quotidienne, en politique ou en matière d’innovation.
Pour Judy Omumbo, directrice de programme senior à l’Académie africaine des sciences (AAS) au Kenya, « L’Afrique diffère des pays du nord, où la science fait partie de la structure sociale. » Elle s’insurge aussi contre l’idée que les modèles du nord concernant la recherche et sa gestion peuvent véritablement être transposés en Afrique. Elle note toutefois qu’il est difficile de s’opposer à un système quand c’est celui des partenaires qui vous subventionnent.
Notion d’excellence
« Nous réfléchissons beaucoup à la question de l’équité. Comme le financement vient généralement du nord, ce sont les priorités du nord qu’on examine en premier », dit-elle.
La responsabilité n’est pas la moindre de ces priorités. Les bailleurs de fonds doivent rendre des comptes à leurs partenaires, faire état de l’impact de leurs interventions et des résultats obtenus – tels que définis par des idées sur l’excellence formulées au Nord.
Pour certains experts, « la notion d’excellence pose problème dans beaucoup de contextes, voire partout … Elle est liée à des valeurs hautement subjectives de disciplines, de méthodologies, et a des liens discutables avec les facteurs d’impact des revues, les scores H-index, les sources de financement, et les classements des universités. »
Le facteur d’impact
On impose aussi ces normes aux chercheurs des pays du nord, dont la « tyrannie du facteur d’impact » qui a fait couler beaucoup d’encre. Un chiffre magique obtenu en publiant dans les revues à impact élevé, il est quasi-impossible à atteindre pour les chercheurs africains.
D’après des chercheurs de l’AAS, « les chercheurs africains font face à des obstacles supplémentaires qui sont moindres ou d’une portée négligeable dans les pays du Nord. » On compte parmi eux les coûts prohibitifs, les éditeurs sans scrupules, et un manque de familiarité avec le système d’évaluation par les pairs.
Biais dans l’examen par les pairs
La discrimination systémique au niveau de l’examen par les pairs est aussi un problème réel. « Les chercheurs africains viennent souvent d’institutions et de laboratoires que leurs pairs occidentaux ne connaissent pas », disent-ils. De surcroît, les africains sont sous-représentés parmi les experts chargés de produire des rapports, et il y a des barrières au niveau de la langue et du style qui peuvent faire qu’un bon travail de recherche soit publié tardivement voire pas du tout.
D’après J. Omumbo, « nous devons définir notre impact sur la base de ce que font nos chercheurs … Voulons-nous qu’ils publient dans les revues les plus prestigieuses ? Ou voulons-nous qu’ils aient un impact et qu’ils facilitent l’émergence d’autres chercheurs locaux ? Nous devrions pouvoir décider de comment nous mesurerons l’excellence dans notre contexte, et les financements devraient être attribués sur cette base-là. »
Laura Owings
À suivre
Cet article est la deuxième partie (sur trois) d’un article publié par SciDev.net que nous publierons pendant trois semaines.