Rondrotiana Barimalala est la seule femme originaire d’Afrique francophone qui obtient un financement du programme Future Leaders-African Independent Research (FLAIR), soutenu par l’Académie africaine des sciences, la Royal Society et le Global Challenges Research Fund du Royaume-Uni en 2020.
Depuis mars 2017, Rondrotiana Barimalala est basée à l’université du Cap en Afrique du Sud où elle a rejoint une équipe de recherche dans le Future Climate For Africa program. Bénéficiaire d’une bourse du Climate Research for Development Grant, elle est par ailleurs une auteure principale pour le prochain rapport du GIEC.
Comment avez-vous réussi, en tant que jeune fille africaine, à surmonter les stéréotypes pour vous imposer dans des études scientifiques ?
J’ai grandi en comprenant qu’une femme pouvait être scientifique sans aucun problème. Ma mère était enseignante de physique-chimie. Nous avions l’habitude de discuter (et nous le faisons encore de temps en temps) de nombreux phénomènes de physique de base à la maison. Je n’ai jamais pensé que je ne pouvais pas être scientifique parce que je suis une femme.
De nos jours, il y a beaucoup de groupes et d’organisations de femmes scientifiques, à l’exemple d’Ikala STEM à Madagascar dont je fais partie. Ces organisations soutiennent et encouragent les filles qui veulent devenir scientifiques. Je trouve cela très utile car les femmes scientifiques se soutiennent et peuvent y partager leurs expériences et leurs défis.
Vous êtes parmi les bénéficiaires de la bourse FLAIR pour l’année 2020. Quels sont les travaux que vous comptez effectuer avec cette bourse et pour quel impact sur le développement du continent ?
Mon projet FLAIR est d’analyser les rôles des processus océaniques dans la formation et l’intensification des cyclones tropicaux dans le canal du Mozambique. Comme nous le savons tous, les cyclones tropicaux sont l’un des phénomènes naturels les plus destructeurs qui emportent des vies humaines et dévastent les zones côtières. Ils causent les dégâts les plus coûteux des aléas météorologiques, représentant 72 milliards de dollars en pertes économiques en 2018 et une moyenne de 66 milliards de dollars de pertes entre 2000 et 2017, selon le Weather, Climate & Catastrophe insight, 2019.
Les pays les plus vulnérables aux cyclones autour du canal du Mozambique (Madagascar, le Malawi et le Mozambique) sont parmi les pays les plus démunis économiquement dans le monde, et les dégâts causés par les cyclones tropicaux laissent des traces qui prennent énormément de temps à cicatriser. Les résultats de cette étude permettront donc d’améliorer la préparation face aux cyclones tropicaux et les stratégies d’atténuation de leurs effets dans ces pays.
Vous focalisez vos recherches sur les phénomènes climatiques et leur influence sur les océans. En quoi ce thème peut-il être considéré comme primordial pour l’Afrique où il subsiste des problèmes de base ?
Mon travail se focalise plutôt sur l’interaction air-océan. L’atmosphère et l’océan sont deux systèmes majeurs que l’on ne peut pas séparer si on veut comprendre les phénomènes climatiques. Et comprendre les interactions entre les deux entités constitue le principal intérêt de mes recherches.
Dire que l’océanographie n’est pas une question de base en Afrique révèle l’incompréhension de tout le système, sachant que le climat est l’un des plus grand défis auxquels notre continent fait face. Par exemple, les anomalies en température dans l’océan Indien peuvent provoquer des inondations ou de la sécheresse en Afrique de l’Est et nous savons que cela se produit très souvent et menace le développement socio-économique de la région toute entière. Idem pour les impacts des anomalies des températures dans l’océan Atlantique sur la mousson en Afrique de l’Ouest.
Tout cela engendre un très large éventail de problèmes allant de la sécurité alimentaire à l’exode urbain en passant par la fourniture d’électricité (celle qui dépend des barrages hydroélectriques), entre autres. J’en conclus donc que c’est une question de base qui est extrêmement sous-considérée en Afrique. Nous avons tendance à nous focaliser sur les conséquences et non sur les causes, ce qui nous condamne à toujours avoir du retard.
Et je suis convaincue que si vous échangez avec des biologistes marins ou des acteurs des filières connexes, vous aurez encore plus de raisons pour lesquelles l’océanographie doit être considérée comme une question de base. D’autant plus que les Nations unies font beaucoup la promotion de l’économie bleue, chose que l’Afrique doit donc considérer plus sérieusement.
Quels sont dès lors les défis que doit relever le continent en matière de recherches océanographiques ?
Je pense que l’Afrique doit d’abord comprendre l’importance de l’océanographie. C’est, à mon avis, le challenge principal. Il n’est pas trop tard pour l’apprendre et commencer à en implémenter les bases. Et cela doit impliquer aussi bien les décideurs que les simples citoyens.
Que projetez-vous de faire pour contribuer à susciter cette prise de conscience ?
J’espère bien pouvoir travailler et collaborer étroitement avec le service national de météorologie et les universités de Madagascar pour que nous puissions former un groupe de recherche climatique solide. Je pense que c’est une priorité pour le développement du pays, mais qui a été considérablement sous-estimée.
Pourquoi alors avez-vous préféré poursuivre vos études supérieures et faire vos recherches à l’étranger plutôt que dans votre pays ?
En ce qui concerne les études supérieures pour les étudiants des pays en voie de développement, étudier à l’étranger est une opportunité plus qu’une préférence. En regardant en arrière, j’encourage tout étudiant à saisir ces opportunités si jamais elles se présentent. Une telle opportunité nous donne une manière différente de voir les choses et nous permet d’apprendre des experts reconnus ; nous en avons besoin.
En ce qui concerne le travail, je pense qu’il y a du temps pour tout. Bien que je ne sois pas encore basée à Madagascar, mon travail touche principalement l’île et il apportera sûrement ma contribution pour le développement du pays, si on en tient compte, bien sûr !
Venant d’un pays francophone, vous menez vos recherches dans un pays anglophone. Comment avez-vous résolu le problème de la barrière linguistique ?
J’ai été obligée d’apprendre l’anglais. Une fois que j’ai quitté Madagascar, tous ceux avec qui j’ai communiqué utilisaient seulement l’anglais, y compris mes colocataires. Tous les manuels et cours étaient également en anglais. Je n’avais pas d’autres choix que de l’apprendre, et je l’apprends toujours. D’un autre côté, j’ai vu comme une opportunité d’apprendre une langue que je pourrai utiliser presque partout dans le monde.
Avez-vous, dans vos études et vos recherches, connu des problèmes particuliers ?
Quand j’étais encore étudiante à Madagascar, un des principaux problèmes était le manque d’accès à des ressources mises à jour telles que les livres et les revues. J’espère que c’est différent maintenant. L’utilisation de vieux livres et de vieilles informations m’a néanmoins beaucoup appris sur les bases et les origines de différentes théories. C’était génial et j’apprécie vraiment d’être passée par là. Cependant, les connaissances progressent et il est nécessaire d’aller au-delà des bases, ce que j’ai réalisé plus tard.
Par ailleurs, un défi auquel je suis toujours confrontée avec le travail est de savoir comment communiquer efficacement les résultats de mes travaux pour qu’ils aient un impact sur le développement d’un pays. Il y a globalement cet écart entre les chercheurs et les décideurs qui est encore pire en Afrique. Plus nous comblons cet écart, plus nous voyons les impacts de la recherche sur le développement d’un pays.
Que conseilleriez-vous aux jeunes Africaines qui voudraient s’inspirer de votre succès en science et dans la recherche ?
Je leur dirais que les défis sont partout. C’est tout un état d’esprit. Je leur dirais aussi qu’on peut si on veut ! Dream big !
Propos recueillis par Julien Chongwang
Cet article a d’abord été publié par SciDev.Net.