Alors que l’Afrique se prépare à subir l’impact du nouveau coronavirus, deux membres de TWAS, experts en maladies contagieuses, affirment que les principaux défis sont la coordination, l’équipement et l’hygiène publique.
Le nouveau coronavirus est à la Une dans le monde entier, suscitant l’inquiétude. Tous les pays s’efforcent de se préparer à la nouvelle pandémie et de sauver autant de vies que possible.
L’Afrique n’a pas encore fait face à l’ensemble des conséquences du virus. Les ressources pour la science et la gestion de la santé sont souvent rares et les populations luttent simultanément contre d’autres maladies dangereuses. Les pays africains sont confrontés à des défis à la fois familiers et uniques, affirment deux membres africains de TWAS qui ont une longue expérience de la lutte contre les maladies infectieuses.
Deux conseillers scientifiques des gouvernements
Shabir Madhi, membre de TWAS en Afrique du Sud, dirige une unité de recherche sur la COVID-19 et surveille actuellement la progression de la maladie dans les régions à forte densité de population de son pays. Ancien directeur de l’Institut national des maladies transmissibles du pays, il continue à conseiller le ministère de la santé sud-africain.
Vincent Titanji, membre de TWAS au Cameroun, est un expert en maladies infectieuses et l’ancien vice-chancelier et coordinateur de l’unité de biotechnologie de l’université de Buea, au Cameroun. Il fournit également des conseils scientifiques à son gouvernement et est membre d’une équipe chargée de rédiger une déclaration de l’Académie des sciences du Cameroun sur la pandémie pour son pays.
Facteurs de risque en Afrique du Sud
L’Afrique du Sud a commencé son confinement le 27 mars, explique S. Madhi. Le pays est confronté à de nombreux défis important. Ainsi, jusqu’à présent, le dépistage du coronavirus n’a été effectué que dans le secteur privé, qui prend en charge 15 à 20 % de la population. La majorité restante de la population n’a guère accès au dépistage, et les gens vivent généralement très proches les uns des autres, ce qui complique la distanciation sociale et rend moins probable que le confinement puisse interrompre la propagation du virus.
En attendant, alors que les cas confirmés de COVID-19 en Afrique du Sud ont actuellement une durée de doublement relativement faible de 3 à 4 jours, l’hiver y approche, ce qui signifie que la saison de la grippe approche. Les cas de COVID-19, note S. Madhi, semblent être corrélés avec les saisons de la grippe ailleurs, bien que les scientifiques ne sachent pas encore si c’est une coïncidence. Ils prévoient que le temps de doublement en Afrique du Sud tombera à 1 à 2 jours, à mesure que l’accès aux tests du secteur public qui couvre 80 % de la population augmente.
Prévalence élevée du VIH et de la tuberculose
La circonstance la plus alarmante en Afrique du Sud est peut-être le fait que, bien que sa population âgée soit peu nombreuse, avec seulement 2 à 3 % de ses habitants qui ont plus de 65 ans, il y a un très grand nombre de citoyens immunodéprimés en raison de la prévalence du VIH et de la tuberculose.
« La grande inconnue en Afrique du Sud est la façon dont les personnes atteintes du VIH et de la tuberculose vont être affectées, déclare S. Madhi. La population de l’Afrique du Sud est de 58 millions d’habitants, dont 7 millions sont infectés par le VIH, et à l’heure actuelle, nous ne savons pas quel sera l’impact de l’infection sur ces dernières. »
Même lorsqu’ils suivent une thérapie antirétrovirale, remarque S. Madhi, les patients séropositifs ont généralement environ 40 % plus de risques de mourir de la grippe saisonnière que la population générale, et il s’ensuit logiquement qu’ils peuvent être particulièrement vulnérables à la COVID-19 aussi.
« Nous disposons de données sur d’autres agents pathogènes, et même avec la présence d’antirétroviraux, les personnes vivant avec le VIH ont toujours une forte probabilité de morbidité et de mortalité pour d’autres causes infectieuses, ajoute-t-il. C’est une grande préoccupation. »
Il y a également 350 000 cas de tuberculose par an, avec près de 1 000 nouveaux cas par jour en Afrique du Sud. La maladie affaiblit les poumons, ce qui les rend exceptionnellement sensibles aux pires effets de la COVID-19.
Les Camerounais sont un peu peu préparés à une épidémie
Le gouvernement du Cameroun a déjà fermé ses frontières, limité les transports et fermé des écoles et des collèges, relève V. Titanji. Il note qu’en raison de la récente épidémie d’Ebola qui a frappé d’autres pays de sa région en 2014, les populations locales sont déjà assez bien préparées psychologiquement aux mesures de distanciation sociale qui seront nécessaires pour contenir les cas de COVID-19.
« Déjà, pour lutter contre Ebola, il y avait cette éducation selon laquelle les gens devaient éviter de toucher les cadavres et les personnes infectées, donc cette idée d’isolement était déjà présente dans la population. Les gens sont donc préparés, déclare V. Titanji. La circulation de l’information s’est également améliorée au fur et à mesure que la technologie s’est améliorée. Le téléphone portable est devenu un équipement domestique ou personnel largement utilisé partout, donc la circulation de l’information est meilleure. »
L’eau polluée pourrait entraîner d’autres infections
Pourtant, le Cameroun est confronté à de sérieux défis, que rencontrent aussi d’autres pays. Malgré leur bonne connaissance des mesures de lutte contre les maladies, il faudra du temps pour que les gens changent leurs habitudes de contact physique. Et dans de nombreuses villes, l’approvisionnement en eau est pollué, et se laver les mains pour éviter une infection à coronavirus pourrait donc conduire à d’autres types d’infection.
« Ce n’est un secret pour personne que l’approvisionnement en eau potable est un défi, soutient V. Titanji. Il y a des villes dans lesquelles l’eau est rationnée. Dans les campagnes, où les gens s’approvisionnent en eau à partir de sources et de puits, cela peut être moins difficile. Mais là encore, la population des campagnes n’est pas aussi dense. Ce n’est pas le même problème que dans les villes. »
L’eau et la nourriture sont trop coûteuses
Le manque d’eau propre pour le lavage des mains est un problème auquel sont confrontés de nombreux autres pays en développement. L’Afrique du Sud est également confrontée à ce dilemme, précise S. Madhi. L’eau n’est pas potable dans une grande partie du pays, et acheter de l’eau dans les magasins pour se laver les mains est trop coûteux pour la plupart des gens. Le meilleur espoir pour beaucoup d’entre eux est de se procurer des solutions de rechange comme du désinfectant pour les mains ou des solutions à base d’alcool. En attendant, les gens ont également besoin de nourriture et d’autres biens de consommation.
« En l’absence de soutien social, ce qui signifierait que les gens recevraient des colis alimentaires presque quotidiennement, la réalité pour la plupart des gens dans ce genre de pays est qu’ils vivent a jour le jour », déplore S. Madhi.
Pas assez de lits et d’équipements sanitaires
Comme l’Afrique du Sud a un secteur public qui dessert 80% de la population et un secteur privé qui en dessert 20%, des discussions sont actuellement en cours pour fusionner les deux secteurs pendant la durée de l’épidémie, précise S. Madhi. Il pourrait être nécessaire de rationaliser la réponse pendant que le pays s’occupe du manque de capacités pour les patients.
L’ensemble du pays, qui compte 58 millions d’habitants, dispose de 3 500 lits de soins intensifs équipés de ventilateurs, soit un quart à un tiers de ce que possède l’Italie, dont la population est de taille similaire. Et n’importe qui ne peut pas gérer ces lits ; il faut du personnel qualifié.
Défis en matière de capacité et d’éducation
V. Titanji observe que la réaction au Cameroun a également besoin d’être mieux structurée. « Le système de santé camerounais est organisé autour d’hôpitaux et de centres de santé publics, explique-t-il. La question de la capacité, c’est combien de lits, combien d’unités d’isolement nous avons, et si nous devions avoir ce genre d’infection massive, je pense que ce serait un défi majeur. Il faut aller au ministère de la santé publique pour obtenir des statistiques récentes. »
Les organisations internationales jouent un rôle important dans l’assistance à la crise. Le Cameroun travaille actuellement en étroite collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé, par exemple. Et une aide est nécessaire en particulier dans le domaine de l’éducation, que V. Titanji qualifie de « l’un des piliers du contrôle et de la lutte contre de telles épidémies. »
La prévalence de la COVID-19 inconnue en Afrique
S. Madhi remarque que les statistiques actuelles sur la prévalence de la maladie en Afrique sous-estiment probablement déjà la crise, car de nombreux pays africains ne disposent pas des laboratoire de base nécessaires réaliser les tests au même niveau que l’Afrique du Sud.
« Malheureusement, je pense que les statistiques actuelles sont très trompeuses quant à l’existence de cas dans d’autres pays africains. La malheureuse réalité est que nous ne saurons peut-être jamais exactement quel pourcentage de la population a été touché et quel a été le véritable nombre de décès. Nous ne pourrons peut-être l’évaluer qu’à la fin de l’épidémie. »
Partage d’informations et d’expertise
Il est important pour les organisations internationales de continuer à améliorer les capacités technologiques et scientifiques de ces pays, ce dans quoi, selon lui, TWAS peut jouer un rôle important. Les chercheurs des pays qui ont connu l’épidémie, et ceux qui se préparent encore au pire, devraient travailler ensemble pour identifier les questions de recherche les plus importantes pour contenir le virus dans le monde.
« Il serait très utile d’encourager ce genre de pratiques de partage communautaire, propose S. Madhi. Et évidemment pour TWAS de travailler avec les académies nationales sur les messages publics à propos de COVID-19. Mettre en réseau les individus, partager l’expertise et les méthodes par exemple ; ce seraient des initiatives utiles. »
Sean Treacy
Ce billet a d’abord été publié par TWAS.