La mise en œuvre des politiques de santé publique sur le tabac, l’alcool et les aliments malsains est entravée par l’influence des grandes entreprises commerciales et la pauvreté, entre autres facteurs.
Les pays les plus pauvres du monde ne parviennent pas à mettre en œuvre des politiques de santé publique sur le tabac, l’alcool et les aliments malsains, en partie à cause de l’influence commerciale, selon une recherche publiée dans The Lancet Global Health.
Dans le monde, le tabac entraîne plus de 7,2 millions de décès chaque année, selon les chiffres de l’OMS. Plus de la moitié des 3,3 millions de décès qui surviennent chaque année à la suite de la consommation d’alcool sont dus à des maladies telles que le cancer, tandis que la consommation excessive de sel ou de sodium entraîne la mort de 4,1 millions de personnes chaque année, selon l’organisation.
Les maladies non transmissibles tuent 41 million de personnes par an
Ces maladies dites non transmissibles (MNT) tuent 41 millions de personnes chaque année dans le monde, selon l’OMS, et touchent de manière disproportionnée les habitants des pays à revenu faible ou intermédiaire, où surviennent plus des trois quarts des décès dus aux MNT dans le monde (31,4 millions).
La mise en œuvre des politiques est inadéquate, en particulier dans les pays pauvres et moins démocratiques et ceux qui subissent de fortes influences des entreprises en raison de la corruption ou du favoritisme politique, selon les chercheurs.
Évaluation de 19 politiques
Les chercheurs de la London School of Hygiene & Tropical Medicine (LSHTM), du Karolinska Institutet de Suède et de l’Université Bilkent de Turquie ont évalué la mise en œuvre de 19 politiques relatives aux MNT recommandées par l’OMS dans 194 pays dans des rapports publiés en 2015, 2017 et 2020.
Ils ont constaté qu’en 2020, les pays du monde entier ne pourraient mettre pleinement en œuvre qu’un tiers des politiques, qui consistent notamment à augmenter les taxes sur le tabac, à limiter la publicité sur l’alcool, à reformuler les produits alimentaires en réduisant le sel, les graisses et le sucre, et à fournir des traitements contre le diabète et l’hypertension.
Les politiques qui sauvent des vies
Luke Allen, chercheur au LSHTM, a déclaré : « Notre étude montre que la mise en œuvre de ces politiques qui sauvent des vies a tendance à être la plus faible dans les pays les plus pauvres du monde. »
Selon L. Allen, les pays en développement ont également tendance à avoir des démocraties plus faibles et une plus grande exposition à la « perméation », ou influence, des entreprises. « Nous savons que ces facteurs sont associés à une élaboration plus faible des politiques relatives aux maladies chroniques », a-t-il ajouté.
Politiques relatives à l’alcool et au tabac
La mise en œuvre était la plus faible pour les politiques relatives à l’alcool, au tabac et aux aliments malsains, indique l’étude. Les pays à faible revenu et moins démocratiques avaient la mise en œuvre des politiques la plus faible.
Les chercheurs ont constaté qu’en 2020, la mise en œuvre des politiques relatives aux MNT était sensiblement faible dans des pays tels que la Guinée équatoriale, où une seule politique était partiellement mise en œuvre, la Guinée Bissau (deux politiques partiellement mises en œuvre) et la Sierra Leone (deux politiques partiellement mises en œuvre).
L’Inde, premier producteur et consommateur d’alcool
Suvadip Chakrabarti, consultant en oncologie chirurgicale à l’Apollo Cancer Centre de Kolkata, en Inde, a déclaré à Scidev.Net que dans les pays en développement, notamment en Inde, les lois sur la publicité pour l’alcool et le tabac sont faibles.
« L’Inde est le troisième plus grand producteur et le deuxième plus grand consommateur de produits du tabac, a déclaré S. Chakrabarti. Dans le même temps, nous avons atteint la première position [en termes de] cancers liés au tabac dans le monde. »
L’influence des entreprises
L’étude met en évidence l’effet de l’influence des entreprises sur la mise en œuvre des politiques relatives aux MNT dans divers pays. Selon les chercheurs, « [les entreprises] influencent les processus d’élaboration des politiques dans les pays où elles sont profondément ancrées dans le tissu social, indépendamment de la question de savoir si elles exercent réellement leur pouvoir. »
« Les effets bénéfiques de la démocratie sur l’élaboration des politiques relatives aux MNT ne tiennent que dans les pays où l’influence des entreprises est tenue en échec », ajoutent-ils.
Contrer les intérêts commerciaux et politiques
SciDev.Net a approché la société de tabac britannique Imperial Brands et l’organisation belge Tobacco Europe, par e-mail, pour obtenir des commentaires, mais aucune réponse sur les conclusions de l’étude n’a été reçue de leur part au moment de la publication de cet article.
L. Allen estime que – étant donné que les pays à revenu faible et intermédiaire connaissent les plus fortes augmentations de conditions telles que l’obésité, les crises cardiaques, les accidents vasculaires cérébraux, les cancers, les maladies pulmonaires chroniques et le diabète – il est urgent de contrer les intérêts commerciaux et politiques qui, selon lui, rivalisent pour saper l’élaboration de politiques saines.
Les sociétés civiles défendent les politiques relatives aux MNT
Christian Kraef, médecin à l’Institut de santé mondiale de Heidelberg en Allemagne, a déclaré à SciDev.Net : « Une approche importante et sous-exploitée pour aborder ces questions dans les pays plus pauvres et moins démocratiques est d’investir dans, de soutenir et d’encourager l’engagement de la société civile. »
Il a ajouté qu’un certain nombre d’organisations régionales et nationales de la société civile travaillent et plaident pour de meilleures politiques en matière de MNT, comme l’East Africa NCD Alliance et ses organisations membres.
Selon S. Chakrabarti, il existe une apathie générale à l’égard des mesures correctives concernant la consommation de produits du tabac et d’alcool. « Nous devrions interdire la vente de produits liés au tabac dans le pays [l’Inde], mais dans le même temps, les travailleurs de l’industrie du tabac devraient être reconvertis », a-t-il ajouté.
Sanjeet Bagcchi
Cet article a d’abord été publié par SciDev.net.