Le financement de la recherche sur les maladies infectieuses émergentes atteint rarement les pays où ces maladies font le plus de dégâts.
Malgré la croissance rapide des dépenses mondiales consacrées à la lutte contre les maladies infectieuses émergentes, qui touchent largement les pays en développement, une grande partie de la recherche fondamentale et du développement se font dans les pays industriels – généralement ceux qui fournissent les fonds. C’est ce qui ressort du dernier rapport G-Finder, compilé par le groupe de réflexion sur la santé mondiale Policy Cures Research et publié le 17 septembre 2020.
Les États-Unis sont le plus grand donateur en matière de recherche sur les maladies infectieuses émergentes, mais aussi le plus grand bénéficiaire de fonds. Entre 2014 et 2018, le pays a fourni 80% du financement public mondial pour les maladies prioritaires identifiées par le Plan directeur de l’Organisation mondiale de la santé pour la recherche et le développement en vue de prévenir les épidémies. Il s’agit notamment du virus Ebola, du virus Zika, des coronavirus et de la maladie X, encore inconnue.
Une forte corrélation
Paul Barnsley, analyste senior chez Policy Cures Research et co-auteur du rapport, explique à SciDev.Net que l’image donnée par les données peut être légèrement biaisée, car les pays riches fournissent plus facilement des chiffres, alors que d’autres grands bailleurs de fonds, comme la Chine ou le Brésil, sont moins disposés à, ou capables de, partager les détails de leurs dépenses. Toutefois, il reconnaît qu’il existe une « forte corrélation » entre ceux qui donnent de l’argent et ceux qui en reçoivent.
« Nous constatons que les bailleurs de fonds aiment financer des organisations nationales, dit-il. Créer des infrastructures locales et des champions nationaux est considéré comme un avantage du financement. »
L’attention du public
Selon le rapport, le financement de la recherche et du développement entre 2014 et 2018 a été principalement consacré aux maladies qui ont retenu l’attention du public, plutôt qu’à la prévention de futures épidémies ou à la lutte contre les maladies qui représentent la plus lourde charge pour la santé.
« Le degré de déséquilibre entre les maladies est frappant, et il a un impact sur la R&D, déclare P. Barnsley. Le financement est très largement déterminé par les épidémies. Il ne s’accorde pas avec une approche prospective. »
La recherche sur les coronavirus
Les données sur la recherche sur les coronavirus dans les années précédant l’épidémie de COVID-19 illustrent parfaitement le problème. Le financement de la recherche sur le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) et sur le syndrome respiratoire aigu sévère ne représentait que 4,6 % du financement total de la recherche fondamentale sur les maladies infectieuses émergentes entre 2016 et 2018 (aucune donnée n’est disponible pour les années précédentes). Le financement annuel total pour les coronavirus s’élevait à 41 millions de dollars en 2018.
En comparaison, le financement de la recherche sur le virus Ebola est passé de 178 millions de dollars en 2014 à 594 millions de dollars en 2015, au plus fort de l’épidémie en Afrique de l’Ouest. En 2018, il tournait autour de 360 millions de dollars par an, mais les auteurs du rapport s’attendent à ce que les niveaux de financement baissent fortement à mesure que le virus Ebola disparaîtra de la conscience publique.
Préparation à la prochaine pandémie
De même, la recherche sur le virus Zika n’a reçu que 6 millions de dollars en 2015, mais après que le Brésil a déclaré une urgence de santé publique en 2016, ce montant a été porté à 243 millions de dollars en 2017.
« Nous ne serons jamais préparés à la prochaine pandémie si nous n’investissons que dans la R&D ciblant les maladies qui font les gros titres », déclare Nick Chapman, directeur général de Policy Cures Research.
Maladie X
Le monde de la recherche est en alerte pour la maladie X – nom utilisé pour décrire une maladie jusqu’alors inconnue qui devient une pandémie. Cette mystérieuse maladie est considérée comme l’une des plus grandes menaces pour l’humanité par de nombreux responsables de la politique de santé.
En 2016, la maladie X et les « autres » recherches, y compris les technologies de plateforme et les antiviraux à large spectre, ont reçu environ 14 millions de dollars. Deux ans plus tard, ce montant s’élevait à plus de 171 millions de dollars, selon les données du rapport G-Finder.
La covidification de la recherche
Ces tendances ont été relevées par Madhukar Pai, directeur du Centre international de la tuberculose de l’Université McGill à Montréal, au Canada. Il prédit que les futurs rapports sur les données de financement pour 2020 et 2021 montreront une « covidification à 100 % » du financement de la recherche sur les maladies infectieuses.
« Chaque bailleur de fonds et chaque gouvernement retire maintenant de l’argent de tous les autres domaines et le met sur la COVID-19, dit-il à SciDev.Net. Bien que cela puisse avoir un sens à court terme, je crains que ce financement à court terme, motivé par la crise, ne soit ni stratégique ni durable. »
Le déclin des États-Unis
L’un des développements mis en évidence dans le rapport est le déclin de la domination mondiale des États-Unis dans le financement de la recherche sur les maladies. Leur part du financement global était de 85% en 2014, mais elle est tombée à 68 % en 2018.
Pendant ce temps, d’autres pays comme le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne ont augmenté leur part, tout comme le Japon et la Norvège grâce à leur participation à la Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI), organisation de mise en commun des fonds de recherche sur les vaccins créée en 2016.
Pas de frontières pour la santé mondiale
P. Barnsley souligne toutefois que les États-Unis assument toujours la majeure partie du financement de la recherche sur les maladies infectieuses émergentes. « Ils ont une place dominante dans la production de ces biens publics et méritent d’être félicités pour cela », dit-il.
Mais M. Pai est plus critique, affirmant que les événements récents, comme l’annonce par les États-Unis de leur retrait de l’Organisation mondiale de la santé, ont abimé l’image du pays.
« Le nationalisme extrême est la dernière chose dont le monde a besoin actuellement, dit-il. La pandémie de coronavirus et le changement climatique sont la preuve que de nombreuses menaces pour la santé mondiale ne respectent aucune frontière. »
Inga Vesper
Cet article a d’abord été publié par SciDev.Net.