Les innovations agricoles ancrées dans la nature et dans la science des plantes pourraient tracer la voie vers les futurs systèmes alimentaires.
Des forêts cachées, des biopesticides contre les criquets et des techniques génomiques pour améliorer la résilience des cultures : ce ne sont là que quelques innovations agricoles ancrées dans la nature et dans la science des plantes qui pourraient ouvrir la voie aux systèmes alimentaires du futur.
Ces méthodes, déjà explorées dans les pays en développement, pourraient apporter des réponses pour faire face à la charge que représente l’alimentation d’une population mondiale estimée à 8,5 milliards de personnes d’ici à 2030. Mais la mise à l’échelle de ces innovations dépendra de la collaboration entre les décideurs politiques, les financeurs et les consommateurs pour soutenir un système alimentaire conçu pour la santé à long terme de la planète.
Des fermes transformées en forêts
Des agriculteurs du sud du Niger ont travaillé avec la nature pour faire verdir cinq millions d’hectares de terres stériles depuis 1985. « C’est la plus grande transformation positive de l’environnement en Afrique », déclare Chris Reij, chargé de recherche à l’Institut des ressources mondiales.
« Des agriculteurs ont commencé à protéger et à gérer les espèces ligneuses qui émergeaient spontanément, soit à partir de souches d’arbres encore dans le sol, soit à partir de graines dans le sol, explique-t-il. Leur conclusion a été que cette pratique avait un impact positif sur le rendement de leurs cultures et leurs moyens de subsistance. »
L’agroforesterie gagne en intérêt
La pratique traditionnelle consistait à supprimer les arbres des terres agricoles, de peur qu’ils n’entrent en concurrence avec les cultures pour les nutriments et l’eau. Cependant, l’agroforesterie gérée par les agriculteurs, observée par C. Reij dans les régions de Zinder et de Tahoua, a apporté une protection contre le vent et la sécheresse, tout en aidant à la production de 500 000 tonnes supplémentaires de céréales par an.
L’agroforesterie – la culture d’arbres ou d’arbustes avec des cultures agricoles et du bétail – suscite un intérêt croissant. Selon un document de travail du partenariat alimentaire mondial CGIAR, 40% des pays en développement mentionnent l’agroforesterie comme mesure d’atténuation ou d’adaptation au changement climatique dans leurs stratégies climatiques nationales. L’intérêt est particulièrement élevé en Afrique, avec 71% des pays, contre 34% dans les Amériques et 21% en Asie.
Les arbres augmentent la matière organique
Avant la gestion généralisée des arbres à la ferme au Niger, C. Reij dit que les vents détruisaient la couverture végétale et obligeaient les agriculteurs à planter des cultures trois ou quatre fois par an. « Aujourd’hui, la vitesse du vent est réduite par les arbres, de sorte que les cultures ne sont plantées qu’une seule fois, ce qui permet d’allonger la période de végétation », explique-t-il.
Plus d’arbres signifie également plus de matière organique, d’ombre et de bois de chauffage, ce qui contribue à faire baisser les températures de surface, à fournir du fourrage pour le bétail, et à produire des engrais. En outre, les zones agroforestières du Niger ont séquestré jusqu’à 30 millions de tonnes de carbone sur 30 ans, selon le World Resources Institute.
Les pays africains adoptent l’agroforesterie
Ces avantages incitent à adopter l’agroforesterie dans d’autres pays africains, notamment au Mali, en Éthiopie, au Sénégal, au Burkina Faso et au Malawi. Selon C. Reij, la pratique gagne également du terrain en Amérique latine et en Asie.
Malgré tous ses succès, il note toutefois à propos de l’exemple du Niger : « Ce n’est pas une solution magique… C’est une pratique fondatrice de l’agroforesterie qui peut créer la bonne base pour d’autres mesures qui intensifient l’agriculture de manière durable. »
Des champignons pour lutter contre les parasites
L’utilisation de matières naturelles telles que les plantes, les animaux et les bactéries pour lutter contre les parasites des cultures est un autre outil agricole innovant. Ces « biopesticides » offrent un remplacement aux pesticides chimiques et à leurs impacts sur la santé animale, humaine et environnementale, dit le Centre international de physiologie et d’écologie des insectes.
Parmi les biopesticides actuellement utilisés figure le Green Muscle. Développé par CABI, l’organisation mère de SciDev.Net, il est dérivé du champignon Metarhizium acridum, qui se développe naturellement dans le sol et a un effet dévastateur sur les criquets.
Les criquets aggravent la crise alimentaire
Les criquets sont les ravageurs migrateurs les plus dangereux au monde, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Poussés par « des conditions météorologiques inattendues et des cyclones alimentés par le changement climatique », les pires essaims depuis des décennies ont touché l’Éthiopie, le Kenya et la Somalie en 2020, avec des essaims majeurs également en Asie du Sud et au Moyen-Orient.
Des centaines de milliers d’hectares de cultures ont été endommagés dans la seule Éthiopie, exacerbant une crise qui, selon la FAO, a laissé 12,9 millions de personnes dans le pays face à une insécurité alimentaire aiguë.
Les pesticides ont un impact sur les sols, l’eau
« Il y a d’énormes invasions de criquets en Afrique et les pesticides chimiques sont très efficaces pour abattre rapidement les criquets. Mais il y a des effets secondaires », explique Belinda Luke, chef d’équipe biopesticides chez CABI. La recherche menée par l’Imperial College de Londres a identifié des impacts tels que la contamination des sols et de l’eau potable, ainsi que la perte d’oiseaux, d’abeilles, de poissons et de volailles.
Selon B. Luke, Green Muscle est spécifique à l’hôte, ce qui signifie qu’il n’agit que lorsqu’il entre en contact avec un criquet, déclenchant un signal chimique qui initie la germination. « S’il tombe sur un autre organisme, il n’aura pas ces signaux et ne commencera pas à germer », explique B. Luke.
Une fois que les spores commencent à germer, le champignon commence à se développer à l’intérieur du criquet, ce qui le fait ralentir, arrêter de manger et finalement mourir.
Tuer les criquets avant la maturité
Le cycle dure entre sept et quatorze jours, ce qui signifie que l’élimination des criquets nécessite une détection et un traitement précoces. « Vous ne pouvez pas attendre l’infestation, vous devez les tuer avant qu’ils ne deviennent des adultes », explique B. Luke.
C’est un défi car les agriculteurs ne sont pas toujours conscients que la peste acridienne pourrait être en route. « Ensuite, cela devient une panique aveugle autour de ce qu’il faut utiliser, et les pesticides chimiques sont ce que les gens connaissent », dit B. Luke.
Biopesticides pour les tiques et la chenille légionnaire
Alors que l’invasion de criquets de 2020 a entraîné un intérêt accru pour le Green Muscle en provenance d’Amérique du Sud, du Pakistan, du Brésil et de toute l’Afrique, d’autres biopesticides à base de champignons sont également explorés, comme ceux destinés à lutter contre les tiques animales et la légionnaire d’automne.
B. Luke affirme toutefois qu’une approche équilibrée de la lutte contre les parasites pourrait bien être la solution. « Les produits chimiques ont leur place, mais nous ne devons pas automatiquement emprunter cette voie. Nous devons d’abord nous demander ce qui est meilleur pour l’environnement et la santé humaine », dit-elle.
Construire de meilleures cultures
L’avenir de l’agriculture pourrait consister à développer de nouvelles espèces de cultures nutritives et résistantes au climat en utilisant des techniques de sélection conventionnelles et d’édition de gènes. C’est ce qu’explore Peter Emmrich, phytologue à l’Institut de Norwich pour le développement durable, au Royaume-Uni.
Ses recherches portent sur le pois fourrager, une légumineuse riche en protéines et en fibres. Elle est cultivée et consommée en Inde, au Bangladesh et en Éthiopie depuis 2 500 ans, selon une étude réalisée par des chercheurs de l’université d’Addis-Abeba.
Le pois fourrager résiste à la sécheresse, aux ravageurs
Le pois fourrager a une « teneur élevée en protéines et s’adapte aux conditions climatiques extrêmes », indique l’étude, citant sa capacité à résister à la sécheresse, aux sols gorgés d’eau, au gel, aux maladies des cultures et aux ravageurs.
Cependant, les inquiétudes concernant le risque de lathyrisme – forme de paralysie causée par la consommation de la plante en grandes quantités – ont conduit à l’interdiction du commerce du pois chiche dans certaines régions, notamment en Inde. Malgré cela, il reste un légume populaire parmi les communautés agricoles.
Développement de variétés sans toxine
« Notre travail consiste à éliminer le risque de toxicité en développant des variétés sûres et en construisant des outils pour la sélection du pois », explique P. Emmrich. Pour ce faire, lui et ses collègues explorent des méthodes permettant de développer de nouvelles variétés sans toxine.
« Si nous parvenons à perturber les bons gènes, nous pourrions empêcher la plante de fabriquer un produit qu’elle produit déjà, explique P. Emmrich. Nous pourrions alors diversifier les systèmes de culture afin que, dans des conditions difficiles, celle-ci s’en sortie mieux que d’autres. »
Mise à jour de la législation sur les OGM
Bien qu’il note que satisfaire les coûts et la réglementation sur les brevets associés aux modifications génétiques (GM) constitue un obstacle, il existe des preuves d’un changement futur des politiques. Une étude de la Commission européenne publiée en avril a révélé que certaines techniques génomiques pourraient contribuer à un « système alimentaire plus durable », ce qui laisse entrevoir la possibilité de mettre à jour la législation actuelle sur les OGM.
Les OGM suscitent toujours des inquiétudes, notamment le fait qu’ils pourraient conduire à des impacts environnementaux à long terme et à des monocultures limitant la biodiversité. Cependant, il existe aujourd’hui un débat sur la question de savoir si l’édition de gènes doit être incluse dans les définitions des OGM, certains affirmant que les modifications de l’ADN résultant de la technique ne sont pas différentes de celles qui peuvent se produire dans la reproduction conventionnelle ou dans la nature.
Les pays subsahariens approuvent les cultures GM
Les pays de régions telles que l’Afrique subsaharienne commencent à approuver des variétés de cultures GM, selon la recherche de l’Institut des sciences végétales de l’Université norvégienne des sciences de la vie, qui cite l’Éthiopie parmi une poignée de pays du continent cultivant actuellement des plantes GM. L’Afrique du Sud est toutefois citée comme étant le seul pays africain ayant jusqu’à présent approuvé une culture alimentaire de base génétiquement modifiée pour la consommation directe, sous la forme de maïs blanc.
Selon P. Emmrich, la science des cultures n’est qu’une partie d’un tableau qui doit être examiné sous l’angle des systèmes de semences, des sciences sociales et de l’économie. « À moins que nous ne proposions de meilleurs systèmes agricoles, ces cultures améliorées n’auront pas les effets que nous espérons pour elles », dit-il.
Prise de responsabilité
La mise en place de ces systèmes nécessite une cohésion entre les décideurs politiques, les financeurs et les marchés, explique Mkhululi Silandela, responsable principal de l’agriculture durable au World Wildlife Fund (WWF) Afrique du Sud.
« Nous avons besoin de politiques et d’incitations plus conformes aux pratiques durables », dit-il, appelant à des accords commerciaux qui intègrent les innovations agricoles et les options de financement vert.
Goût des consommateurs, ajustements des agriculteurs
Il souligne également le rôle du consommateur dans la conduite du changement aux côtés des agriculteurs. « Lorsque les consommateurs disent qu’ils veulent un produit cultivé de manière durable, cette information parvient à l’agriculteur et [ce dernier] fait des ajustements », explique-t-il.
Face à l’augmentation mondiale de la fréquence et de la gravité des phénomènes climatiques tels que les sécheresses, les inondations et les incendies de forêt, M. Silandela estime que l’avenir de l’agriculture doit être considéré comme la responsabilité de chacun.
« Les pratiques durables signifient qu’il faut assumer la responsabilité de l’impact que les décisions ont tout au long de la chaîne de valeur, y compris avec les communautés, la biodiversité et les écosystèmes naturels, dit-il. C’est ainsi que nous assurerons la pérennité de la terre et celle des générations futures qui l’utiliseront. »
Laura Owings
Cet article a d’abord été publié par SciDev.Net.