La bataille pour éradiquer la malnutrition nécessite de s’attaquer aux carences en micronutriments, parallèlement aux fardeaux croissants de la dénutrition et de l’obésité.
Les repas scolaires et l’éducation communautaire pourraient contribuer à lutter contre le fardeau croissant de la « faim cachée » – pénurie de minéraux et de vitamines essentiels à une croissance et un développement corrects.
Les spécialistes de la nutrition ont dépassé les signes de plus en plus courants d’une mauvaise alimentation – insuffisance pondérale ou obésité – pour parler désormais d’un triple fardeau de la malnutrition. La faim cachée, ou carence en micronutriments, est devenue le troisième pilier de ce qui est un problème croissant dans le monde entier, mais un défi particulier pour les pays à revenu faible et intermédiaire.
660 millions de personnes
On prévoit qu’environ 660 millions de personnes pourraient encore souffrir de la faim en 2030, en partie à cause des effets durables de la pandémie sur la sécurité alimentaire mondiale. Les extrêmes climatiques et les perturbations économiques sont d’autres facteurs importants, selon le State of Food Security and Nutrition in the World de cette année, un rapport multi-agences des Nations unies.
Plus de la moitié des personnes sous-alimentées dans le monde se trouvent en Asie (418 millions) et plus d’un tiers en Afrique (282 millions), selon le rapport.
Le triple fardeau de la malnutrition
La plupart des enfants souffrant de malnutrition dans le monde vivent aussi en Afrique et en Asie, indique le rapport. Ces régions comptent plus de neuf enfants sur dix souffrant de retard de croissance – trop petits pour leur âge – et d’émaciation – trop légers pour leur taille – et plus de sept sur dix qui sont en surpoids.
Avant que la pandémie ne frappe, le rapport de l’UNICEF La situation des enfants dans le monde pour 2019 mettait en garde contre la triple charge croissante de la malnutrition. Les enfants et les femmes en âge de procréer sont les plus exposés au risque de carence en micronutriments, a indiqué l’UNICEF.
Briser les cycles
« Une bonne nutrition peut briser les cycles intergénérationnels par lesquels la malnutrition perpétue la pauvreté, et la pauvreté perpétue la malnutrition », ajoute le rapport.
Mercy Lung’aho, chercheuse à l’Institut international d’agriculture tropicale, a déclaré à SciDev.Net : « J’ai vu des communautés où les mères sont en surpoids et souffrent d’anémie, tandis que les enfants ont un retard de croissance et sont anémiques, parfois dans les mêmes foyers. »
Exacerbation par la pandémie
Ces problèmes ont été exacerbés par la pandémie, des millions de familles n’ayant pas les moyens ou l’accès aux aliments nutritifs essentiels.
Nitya Rao, professeur de genre et de développement à l’Université d’East Anglia, au Royaume-Uni, affirme que les perturbations de la COVID-19 ont mis en évidence les inégalités dans les pays dépourvus de mécanismes de protection sociale et souligné que les systèmes mondiaux de sécurité alimentaire n’étaient pas préparés aux chocs et aux crises systémiques.
« Il y a des gens qui ne pouvaient pas acheter de nourriture même si elle était disponible, et dans de nombreux endroits, les prix des aliments ont augmenté », explique N. Rao.
La lutte pour les denrées périssables
N. Rao a fait des recherches sur la sécurité alimentaire en Inde, l’un des principaux pays producteurs de nourriture au monde. Selon elle, la chaîne d’approvisionnement alimentaire du pays a rencontré quelques obstacles pendant la pandémie, bien qu’elle ait pu manœuvrer à travers certains des principaux chocs.
Selon N. Rao, l’un d’entre eux est que les systèmes alimentaires indiens peinent à fournir des aliments périssables – les fruits et légumes, qui contiennent des nutriments vitaux.
Ni fruits, ni légumes
« Pendant plusieurs mois, les gens ne pouvaient pas se permettre d’avoir une alimentation saine et nutritive. Ils avaient le riz et le blé pour se nourrir, mais ils n’avaient pas l’argent pour acheter des légumes, des fruits ou des œufs », dit-elle.
Pourtant, d’un autre côté, une chance a été que le premier confinement du pays, imposé en mars 2020, a coïncidé avec le pic de la saison des récoltes pour les cultures d’hiver telles que le blé, l’orge, les pois et la moutarde, selon le Crop Situation report du pays.
L’Inde a également exempté ses travailleurs agricoles et ses entreprises agricoles du confinement, permettant au pays de récolter et de stocker des céréales pour aider à nourrir sa population de 1,4 milliard d’habitants.
Barrières culturelles
Dans le monde, environ un quart des enfants de moins de cinq ans souffrent d’un retard de croissance, tandis que l’obésité est également en augmentation, selon le rapport de l’UNICEF Nutrition mondiale pour 2020.
En Tanzanie, où un enfant de moins de cinq ans sur trois reste atteint d’un retard de croissance, les communautés se heurtent à des obstacles culturels à une bonne nutrition, même lorsque la nourriture est abondante, explique Elizabeth Ndaba, nutritionniste au Ministère de la Santé du pays.
La malbouffe
Certaines femmes sèvrent leur bébé de l’allaitement maternel de manière précoce en raison des croyances que leurs seins vont s’affaisser ou par sorcellerie, privant ainsi les bébés de nutriments importants pour leur croissance et leur développement précoces.
Parallèlement, une étude menée à l’échelle de l’Afrique a révélé que les parents nourrissent les enfants dès l’âge de six mois avec des aliments hautement transformés, au lieu d’aliments riches en micronutriments, notamment des fruits, des légumes et des œufs.
Mythes et idées fausses
« Les mythes et les idées fausses autour de l’alimentation et de la nourriture sont légion dans les communautés aux origines ethniques et aux traditions alimentaires diverses, explique E. Ndaba. Le dilemme réside également dans le fait que les aliments transformés sont plus accessibles et moins coûteux que les régimes traditionnels. »
En Tanzanie, les régions les plus touchées par le retard de croissance – avec des taux supérieurs à 40% de la moyenne nationale – sont ironiquement celles qui produisent le plus de nourriture, selon les données obtenues à partir de l’enquête nutritionnelle de Tanzanie.
Manque de sensibilisation
« Cela nous indique que le problème n’est pas le manque de nourriture, mais le manque de sensibilisation, déclare E. Ndaba. L’impact d’une mauvaise alimentation chez un enfant peut être trop subtil, [de sorte] que lorsque les mères décident de s’en tenir à des croyances erronées en matière d’alimentation de leurs bébés, elles ne verront pas de problème au début. En fin de compte, les signes de retard de croissance seront remarqués lorsque l’enfant grandit mal ou [obtient] de mauvais résultats à l’école. »
Mettre les connaissances en pratique
La Tanzanie travaille avec des organisations non gouvernementales internationales pour accroître les connaissances du public sur les bonnes pratiques nutritionnelles, telles que la promotion de la consommation de fruits et légumes dans les écoles et à travers les centres de santé.
Cependant, E. Ndaba déclare : « Il existe un certain nombre de programmes éducatifs visant à accroître les connaissances des gens en matière de nutrition, mais le défi qui reste à relever est de savoir comment mettre ces connaissances en pratique. »
Systèmes alimentaires et compléments
Selon N. Rao, les gouvernements, en particulier ceux des pays du Sud, doivent repenser leurs systèmes alimentaires, se concentrer sur la production locale d’aliments destinés à la consommation locale et investir dans des mécanismes de protection sociale solides pour rester résilients en cas de crise.
En ce qui concerne les micronutriments, les organisations de nutrition mettent l’accent sur la vitamine A pour les mères qui allaitent, car il s’agit d’une vitamine essentielle pour les bébés. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) qualifie la carence en vitamine A de problème de santé publique pour de nombreuses régions du monde, mais surtout pour l’Afrique et l’Asie du Sud-Est.
Une alimentation équilibrée et variée
La carence en vitamine A peut entraîner des déficiences visuelles, selon l’OMS, et peut augmenter le risque de maladie et de décès dus à des infections infantiles, notamment la rougeole et celles provoquant des diarrhées.
Mais, plutôt que de se ruer sur les suppléments vitaminiques, l’OMS indique que les preuves suggèrent que cela a une efficacité limitée pour les femmes qui ont récemment accouché. « Les femmes en post-partum doivent être encouragées à recevoir une nutrition adéquate, ce qui passe par la consommation d’une alimentation saine et équilibrée », indique l’OMS.
Lung’aho convient que des régimes équilibrés et variés sont le meilleur moyen de répondre aux besoins nutritionnels. Pour aller de l’avant après la pandémie, M. Lung’aho indique : « Nous avons besoin de systèmes [alimentaires] qui nourrissent les communautés, rendent dignes les moyens de subsistance fondés sur l’agriculture et améliorent la santé planétaire. »
Les repas scolaires
Les spécialistes de la nutrition soulignent fréquemment la valeur des repas scolaires dans la lutte contre la malnutrition. L’extension des programmes de repas scolaires et le renforcement de la nutrition sur les lieux de travail pourraient contribuer grandement à la lutte contre le triple fardeau de la malnutrition, disent-ils.
Pendant la pandémie, les fermetures d’écoles ont conduit à ce que plus de 370 millions d’enfants dans le monde soient privés de repas scolaires, indique un rapport du Programme alimentaire mondial (PAM) et de l’UNICEF publié en janvier.
Nourriture et connaissances
Le rapport indique que les repas scolaires stimulent la fréquentation des classes, fournissent des aliments nutritifs aux enfants et contribuent à réduire les charges financières des familles à faible revenu qui ne peuvent pas se permettre une alimentation saine.
Il est important de noter que les repas scolaires offrent aussi un moyen de diffuser des connaissances sur la nutrition auprès des enfants, de leurs familles et plus largement des communautés. Reconnaissant la valeur des repas scolaires, une série de pays ont mis en œuvre des programmes pour garder les enfants bien nourris dans les premiers jours de la pandémie, indique un rapport du PAM.
Rations à emporter
L’Afrique du Sud et le Japon se sont lancés dans les rations à emporter pour les enfants. Et bien qu’il ait été fortement critiqué pour sa gestion de la pandémie, le Brésil a adapté des mesures par le biais de son programme national d’alimentation scolaire pour que ses 40 millions d’écoliers mangent des repas sains, en s’appuyant sur des paniers alimentaires conçus par des nutritionnistes.
Selon les scientifiques, dans un contexte de réduction de l’aide étrangère et de difficultés économiques plus générales, le financement durable des repas scolaires reste un défi pour de nombreux gouvernements. Lina Mahy, responsable technique au département de la nutrition et de la sécurité alimentaire de l’OMS, affirme que les gouvernements devraient investir dans les programmes d’alimentation scolaire afin de fournir une alimentation saine aux enfants.
Investissements nécessaires
Selon elle, le soutien international est disponible lorsque les gouvernements montrent leur volonté d’investir dans la nutrition des enfants. « Il est toujours important pour les donateurs de voir que le pays est prêt à investir en lui-même et à avoir un plan bien pensé, dit L. Mahy. L’investissement dans les repas scolaires pourrait ne représenter qu’une infime fraction de ce qui est investi dans d’autres priorités gouvernementales. »
Syriacus Buguzi
Cet article a d’abord été publié par SciDev.net.