Un nouveau modèle numérique de l’Atlantique tropical, intégrant pour la première fois le rôle significatif des marées sur le panache de l’Amazone, permettra de mieux comprendre les impacts du fleuve sur le fonctionnement océanique et le climat.
Tous les marins le savent : il ne faut pas sous-estimer les effets de la marée ! En s’inspirant de cette ancestrale sagesse, et en surmontant d’ardues complexités mathématiques, des scientifiques ont mis au point un nouveau modèle du panache de l’Amazone. « Notre outil permettra de mieux comprendre l’impact du changement global ou de perturbations anthropiques régionales sur le fonctionnement de l’océan Atlantique et du système climatique », estime Fabien Durand, océanographe-physicien au LEGOS. La décharge du grand fleuve dans l’Atlantique contribue en effet aux équilibres du climat de la planète et aux mécanismes biologiques et physiques dans tout le bassin atlantique.
Langue d’eau douce et chaude
À la mesure de son gigantisme, le plus grand fleuve du monde déverse une quantité considérable d’eau douce dans l’Atlantique. Avec un débit de 200 000 m3 par seconde, il pourvoit à 50 % de l’ensemble des apports fluviaux dans cet océan et forme un panache qui s’étend jusqu’à 3 000 kilomètres au large de l’embouchure.
Cette longue langue d’eau douce et chaude, arrivant en surface sur le bord ouest du bassin océanique, s’insère dans le « tapis roulant océanique », le système de courants marins par lequel la chaleur des tropiques est transportée vers les pôles. De même, en réchauffant la surface de l’océan tropical, le panache pourrait participer à l’intensification des cyclones tropicaux en leur fournissant de l’énergie.
Apport nutritif
Enfin, il fertilise l’ouest de l’Atlantique tropical, région qui serait particulièrement peu productive sans ces apports nutritifs venus du continent, et il favorise la dispersion des polluants issus du bassin amazonien. Bien que cela soit encore à démontrer, il pourrait ainsi participer à la prolifération saisonnière des sargasses qui viennent envahir les littoraux caribéens depuis plusieurs années.
Malgré son importance, ce panache n’était jusqu’à présent pas bien représenté en modélisation numérique. Et de ce fait, son étude, comme celle des perturbations qu’il peut subir, restait incomplète.
Avec vents et marées
« Les modèles numériques du panache de l’Amazone n’intégraient jusqu’ici que la courantologie et l’action des vents », explique le chercheur. Certes, ces forçages sont importants dans la région, où il existe une circulation côtière soutenue vers le nord-ouest, et où soufflent de puissants alizés d’est en ouest. Mais ils ne suffisent pas à représenter la situation in situ, puisque ces modèles suggèrent que le panache se dirige vers le nord-ouest le long des côtes d’Amérique du Sud, alors que l’observation montre qu’en réalité il s’écoule vers le nord dans l’océan du large, puis opère durant une partie de l’année une rétroflexion plein-est en direction des côtes africaines.
Manifestement, la composante marée manquait à l’appel pour décrire convenablement les mécanismes océaniques à l’œuvre sur le panache du grand fleuve. « Le flux et le reflux liés à la gravité de la Lune et du Soleil contribuent généralement à brasser les eaux fluviales venues du continent avec celles de l’océan, indique Julien Jouanno, également océanographe-physicien au LEGOS. Dans cette région où les marées sont de forte amplitude en raison de la géographie du bassin, leur influence pouvait être significative et nous nous sommes employés à les intégrer dans un nouveau modèle. »
Échelles de temps et d’espace différentes
De fait, une fois résolues les complexités numériques à associer les variations à fine échelle temporelle et spatiale des marées – quelques minutes et quelques kilomètres – avec celles plus longues des courants de la circulation générale océanique, des vents et de la variabilité interannuelle de l’océan, le nouveau modèle s’est révélé très performant. Il fournit une représentation numérique conforme aux observations faites par les satellites, les campagnes à la mer et les navires de commerce équipés d’instruments d’enregistrement des conditions océaniques circulant dans la zone.
« Ce nouveau modèle pourra notamment servir à évaluer l’impact sur l’océan et le climat des changements hydrologiques en cours sur le bassin Amazonien, et en particulier ceux associés aux 400 barrages sur l’Amazone qui sont en cours de construction ou en projet », conclut Fabien Durand.
Ce billet a d’abord été publié sur le site de l’IRD.