Le gouvernement camerounais a décidé de créer des concessions d’exploitation forestière dans un sanctuaire de biodiversité.
J’ai assisté le jeudi 30 juillet dernier à une réunion d’échanges et de sensibilisation sur les menaces qui pèsent sur la forêt d’Ebo au Cameroun. Une forêt d’une superficie de l’ordre de 1 500 km² qui a des caractéristiques uniques pour certains et qui représentent un intérêt particulier pour les scientifiques spécialisés dans la conservation et la biodiversité.
Les objectifs de cette réunion de sensibilisation organisée par Foder (Forêts et développement rural), ONG locale, étaient surtout de présenter les enjeux du processus du classement de la forêt d’Ebo en UFA, engagé par les pouvoirs publics, afin d’y créer des concessions.
Grande diversité faunique
Dans son exposé, Justin C. Kamga, coordonnateur de Foder, a expliqué pourquoi son organisation et lui-même estiment que ce n’est pas une bonne idée de créer une concession forestière dans la forêt d’Ebo.
Pour la simple raison que cet écosystème sert d’habitat à une grande diversité faunique comprenant des espèces animales uniques ou déjà en danger de disparition. Il cite en l’occurrence des chimpanzés dits du Nigéria -Cameroun, des grenouilles Goliath, des éléphants de forêt, des drills, etc.
Chimpanzés uniques
Des recherches supplémentaires m’ont conduit à un article publié par la Global Wildlife Conservation qui donne davantage de précisions sur l’intérêt de la forêt d’Ebo et de sa biodiversité.
« La population de chimpanzés de la forêt d’Ebo utilise des bâtons pour “pêcher” les termites et les pierres de quartz en forme de marteau et des “massues” en bois pour casser les noix de coula. Les deux actions ont été observées ailleurs, mais c’est le seul endroit où la même population de grands singes présente les deux comportements », indique cet article.
Colobes menacés
Le texte ajoute que le chimpanzé du Nigeria-Cameroun est l’espèce de chimpanzés la plus menacée avec entre 3 500 et 9 000 individus seulement dans la nature, dont environ 700 vivent dans la forêt d’Ebo.
Par ailleurs, « la forêt d’Ebo abrite l’une des deux seules populations restantes de colobe bai de Preuss, singe en danger critique d’extinction qui se classe parmi les primates les plus menacés au monde », peut-on aussi lire dans cet article.
Des éléphants et des hommes
Enfin, l’on apprend que les chercheurs ont découvert que les éléphants de forêt dont la population a diminué de 65% entre 2002 et 2013, sont les plus important disséminateurs de graines de toutes les espèces du Bassin du Congo, bien que leur aire de répartition s’étende au-delà du bassin dans la forêt d’Ebo.
En plus de cette riche biodiversité, « la forêt d’Ebo abrite plus de 40 communautés qui accordent à cet espace et aux ressources une importance culturelle, coutumière et économique considérable. Les populations riveraines d’Ebo y puisent en effet des ressources pour leur subsistance », ajoute Justin C. Kamga.
Concessions forestières
Cette richesse mise en évidence par des vagues successives de scientifiques d’horizons divers justifie les plaidoyers répétés des communautés locales et des ONG pour que cette forêt soit classée comme aire protégée ou comme parc national.
Seulement le gouvernement camerounais a toujours fait la sourde oreille et avance, tête baissée, dans son projet de mise en concession. Ainsi, après la décision d’y créer des UFA en 2019, le ministère des forêts et de la faune (MINFOF) a décidé le 4 février 2020 de la création de deux concessions d’exploitation forestière couvrant un total de 150 000 hectares.
L’arbre et le fruit
Et le 14 juillet dernier, c’est le Premier-ministre en personne qui donnait son onction à ce processus en signant un décret qui confirme la mise en concession d’une partie de cette forêt.
A mon humble avis, en persistant dans ce projet malgré les réserves des communautés et de la société civile et nonobstant les conséquences écologiques de la mise en concession de la forêt d’Ebo, le gouvernement a clairement choisi de couper l’arbre pour avoir le fruit.
Production à court terme
La production du bois qui va y être faite va, certes, générer des revenus ; mais sur une durée limitée et aux dépens de la biodiversité et des intérêts des communautés locales. Là où l’écotourisme par exemple aurait généré lui aussi des revenus, sur le très long terme, sans porter atteinte à l’environnement et sans s’aliéner les communautés.
Selon un article de Midori Paxton, chef des écosystèmes et de la biodiversité au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), un pays comme la Namibie est la preuve que l’écotourisme peut constituer une importante source de capitaux pour les Etats.
L’exemple namibien
« En Namibie, le tourisme est principalement axé sur la nature et s’affirme, avec 15,4% de l’emploi total et 14,7% du PIB national, comme le deuxième secteur économique du pays. Il se pose au cœur de la stratégie nationale de réduction de la pauvreté et de conservation de la biodiversité », écrit-elle.
A l’en croire, près de la moitié de la superficie du pays est inscrite dans une gestion axée sur la conservation – et 20% des terres accueillent 86 réserves naturelles abritant des éléphants, des lions ainsi que la plus grande concentration mondiale de rhinocéros noirs et de guépards.
Faire reculer la pauvreté
« Les communautés environnantes bénéficient de cette riche biodiversité, dont ils tirent profits, emplois et opportunités », conclut Madori Paxton dans son article paru le 21 avril 2020. Le Rwanda avec ses gorilles de montagne constitue l’autre exemple.
Le Cameroun gagnerait à s’inspirer de l’exemple namibien pour revenir sur sa décision concernant la forêt d’Ebo. Sachant par ailleurs qu’à la place du développement local espéré, les précédentes concessions forestières ont plutôt généré grandes frustrations, vives tensions et grave dégradation de l’environnement. Sans jamais faire reculer la pauvreté au sein des communautés hôtes.
Julien Chongwang
Cet article a d’abord été publié par SciDev.Net.