Les scientifiques craignent qu’une nouvelle souche d’Ebola n’apparaisse en République démocratique du Congo si deux versions du virus se mélangent pour en former une nouvelle, potentiellement plus mortelle.
Alors qu’Ebola sévit toujours dans l’est du pays malgré un compte à rebours pour la fin de l’épidémie, un nouveau foyer est né dans la province de l’Équateur où une souche différente est apparue le 1er juin.
Dans un communiqué de presse publié le 9 juin, Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’Afrique déclarait : « Nous ne sommes pas surpris de constater qu’il n’y a aucun lien entre l’épidémie actuelle à Mbandaka et les deux précédentes. »
Risque de croisements
Cette réalité suscite une certaine inquiétude chez les chercheurs qui redoutent des croisements entre les deux souches de virus en circulation.
« La seule chose à laquelle il faut penser c’est notamment la possibilité de la migration de la population qui peut faire que les deux souches subissent des recombinaisons virales qui peuvent amener à voir une souche tout à fait nouvelle et qui peut faire apparaître des phénomènes de résistance », explique le microbiologiste, Éric Kasamba, enseignant-chercheur à l’université de Lubumbashi.
Immunité incertaine
Cette éventualité remet sur la table la question d’une deuxième contamination pour les anciens malades. Si les études cliniques n’ont pas encore exclu le risque de contracter Ebola, type Équateur, après avoir guéri d’Ebola, type Beni, il n’est pas plus sûr que les personnes soient exemptes en cas de survenance d’un virus hybride qui résulterait d’une forme de croisement des deux souches présentes.
Immunologiste et virologue, membre de l’Institut Pasteur et Coordonnateur en chef des laboratoires de médecine de l’université de Lubumbashi, Ekwalanga Balaka appréhende pour sa part des enjeux différents dans un contexte particulier où les régions touchées, à ce jour, étaient déjà affectées par d’autres drames humanitaires et donc, exposées à d’autres défis psycho-sociaux.
« En tant qu’immunologiste, il y a ce qu’on appelle le stress oxydant qui est une cause de mutation virale. C’est ce qui fait qu’à l’est de la RDC, Ebola a tué 3 000 personnes alors qu’il n’en a tué que 400 ailleurs… », explique-t-il.
Diversité des souches virales
Distinct de celui du Nord-Kivu et de celui l’Ituri, le virus mis en évidence dans la province de l’Équateur l’est aussi par rapport aux deux autres qui avaient frappé récemment la même contrée. Autant dire que les contours de l’apparition constante d’une nouvelle souche ne peuvent être laissés de côté par les professionnels de la médecine.
Éric Kasamba met cela sur le compte de la faune congolaise qui est difficile à surveiller à travers les 125 millions d’hectares de forêts du pays qui s’étendent en continu sur plusieurs provinces.
Décontaminer les animaux
« C’est qu’on a un réservoir qui, jusque-là, n’est pas encore bien maitrisé. Ce réservoir continue à fournir aux humains le virus qui apparaît et qui disparaît sous des formes diverses », indique-t-il.
Les chercheurs rappellent au passage que la plupart des épidémies qui réapparaissent sont de type zoonotique. Ça veut dire qu’ils sont liés à l’environnement des animaux qui sont autour de nous.
« A l’heure actuelle, la recherche devra plus s’orienter vers l’identification du réservoir de cette nouvelle souche parce que si nous découvrons ce réservoir, nous pouvons décontaminer les animaux », souligne Éric Kasamba.
Des traitements bien connus
En attendant, le chercheur suggère des précautions. « Il y a un vaccin qui est déjà là. Je pense qu’il y a moyen de l’utiliser pour protéger la population », dit-il, faisant allusion aux deux molécules découvertes par les équipes du chercheur Jean-Jacques Muyembe.
Pour ce qui est de la prise en charge, il estime qu’elle sera plus aisée parce que les traitements contre d’Ebola, dans la plus part de cas, sont bien connus. « Malgré la différence des génotypes, la base de la réponse médicale sera proche puisqu’il s’agit de la même maladie », ajoute-t-il.
S’occuper des populations
Récemment sollicité par le gouvernement pour contribuer au combat contre Ebola et la COVID-19, Ekwalanga Balaka a insisté sur l’importance de prendre en compte certains éléments spécifiques.
Les populations malnutries et souffrant des traumatismes, « il faut les nourrir, s’en occuper, les faire moins stresser, peut-être qu’on arriverait à réduire le taux de contamination », recommande-t-il pour l’efficacité de tout traitement.
Adhésion sociale et discipline
Pour sa part, Modeste Bwanakawa, le maire par intérim de la ville de Beni dans le Nord-Kivu, confie son optimisme en disant qu’il compte sur l’adhésion sociale et sur la discipline des populations.
« Les gens se sont déjà habitués à se laver les mains, à se diriger vers les centres de soins quand ils vont mal, à ne pas toucher les corps… », dit-il.
42 jours sans nouveau cas
Il se sert alors du tableau actuel de la riposte contre le coronavirus pour conforter ses espoirs. « Tous les six cas de Covid-19 enregistrés à Beni n’ont laissé aucun cas contact. C’est un bon comportement que la population a affiché… », se réjouit Modeste Bwanakawa.
Le 24 juin pourrait être un repère historique pour les populations de Béni et Ituri dans le combat contre Ebola ; notamment si, à cette date, l’épidémie en cours est déclarée vaincue après les 42 jours conventionnels sans nouveau cas enregistré. La région retient son souffle, car, le précédent compte à rebours avait avorté le 10 avril, à 3 jours du but.
Patrick Abega & Fiona Broom
Cet article a d’abord été publié par SciDev.Net.