Au Ghana, une énorme quantité de déchets électroniques est importée du Nord. C’est de la pollution, mais elle peut aussi être utilisée comme ressource pour de nouveaux appareils.
Trois aviculteurs du nord du Ghana ont trouvé une nouvelle façon de garder leurs œufs au chaud : en les conservant au réfrigérateur.
Un prototype d’incubateur utilise un réfrigérateur d’occasion comme boîtier, tandis qu’un mécanisme à l’intérieur retourne les œufs quand c’est nécessaire. L’idée vient d’une entreprise locale appelée Appcyclers, qui a développé le prototype lorsqu’un membre de l’équipe s’est plaint de la rareté et du prix des incubateurs commerciaux.
Des quantités croissantes de déchets électroniques
Ce prototype n’est qu’un moyen par lequel les innovateurs utilisent des quantités croissantes de déchets électroniques dangereux (e-déchets).
« L’objectif à long terme est en fait de promouvoir un environnement de recyclage plus vert et plus sûr dans la région du nord et dans l’ensemble du Ghana », déclare Agudor Agabas, diplômé en ingénierie, cofondateur d’Appcyclers.
Il fait partie d’une génération qui apprend à recycler les déchets électroniques pour satisfaire ses ambitions commerciales et réduire la dégradation de l’environnement.
Les déchets du Nord
Les déchets électroniques ont mauvaise réputation au Ghana. Le site de déchets d’Agbogbloshie et le quartier voisn d’Old Fadama – connu localement sous le nom de Sodome et Gomorrhe – près de la capitale, Accra, est devenu un symbole de la consommation d’électronique génératrice de déchet des pays du Nord.
Bien que les estimations officielles varient, une étude de 2017 estime qu’environ 215 000 tonnes de déchets électroniques arrivent au Ghana chaque année, un poids équivalent à plus de 20 Tour Eiffel.
Les déchets de la décarbonisation
Le site devrait recevoir une nouvelle génération de déchets électroniques puisque le Nord développe de nouveaux appareils pour passer à une économie à faible émission de carbone.
Les associations qui travaillent sur les énergies renouvelables notent que les panneaux solaires installés au moment du boom de l’énergie solaire au début des années 2000 atteignent maintenant la fin de leur vie, après 25 à 30 ans. Ils estiment que d’ici les années 2050, jusqu’à six millions de tonnes de vieux panneaux solaires seront jetés chaque année. À cette date, les flux mondiaux de déchets électroniques auront doublé pour atteindre 111 millions de tonnes par an.
La fracture de la décarbonisation
Un récent document d’examen des politiques a noté que les tentatives de l’Allemagne et du Royaume-Uni de décarboniser leur approvisionnement en chauffage entraîneraient très probablement de nouveaux déchets.
Benjamin Sovacool de l’unité de recherche sur les politiques scientifiques de l’université du Sussex, décrit comment la tentative du monde développé de réduire son empreinte carbone a entraîné des risques pour l’environnement et la santé publique, la discrimination fondée sur le sexe, le travail des enfants et la discrimination ethnique dans le Sud.
Dans un article publié récemment, Benjamin Sovacool appelle cela la « fracture de la décarbonisation ».
Plus de pollution dans les aliments et dans les corps
Les effets de cette fracture sont bien documentés. L’année dernière, le réseau de surveillance des exportations de déchets, Basel Action Network, a révélé qu’un seul œuf vendu dans le camp d’Agbogbloshie avait une teneur en dioxine chlorée 220 fois supérieure à la limite tolérée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments.
Dans le cadre de ses recherches sur cette fracture de la décarbonisation, Benjamin Sovacool a visité Agbogbloshie 20 fois et il y a rencontré des enfants âgés de six ans ramassant des déchets sans équipement de protection. « Ils le font pour nous doter des ressources dont nous avons besoin pour respirer un air pur ou arrêter les émissions ici en Europe », dit-il.
De la poubelle au trésor
Cependant, ces dernières années, le chiffre d’affaires annuel d’Agbogbloshie qui est estimé à 100 millions d’euros s’est diversifié. L’électronique peut désormais être réparée et remise à neuf sur un marché florissant des services informels dans la périphérie d’Accra, souvent pour une fraction du prix facturé par les services de réparation officiels.
Ebenezer Amankwaa, géographe urbain à l’université du Ghana, explique que ces entreprises sont installées sur des « sites intermédiaires » à Accra où les travailleurs des déchets électroniques peuvent trouver des clients au-delà des marchands de ferraille d’Agbogbloshie. « Ces sites intermédiaires, pour moi, ont changé la donne », dit-il.
Réparer et rénover
Il explique qu’il y a des années, souhaitant imiter le succès de leurs homologues nigérians, les Ghanéens du site ont commencé à démonter avec attention les composants informatiques pour s’approvisionner en pièces plus précieuses, qu’ils pourraient ensuite revendre à des ferrailleurs à un prix plus élevé.
Certains se spécialisent maintenant dans la réparation de certains appareils électroniques, demandant souvent des composants aux démanteleurs d’Agbogbloshie. D’autres collaborent sur des projets avec des rénovateurs du secteur formel. L’apprentissage transmet les compétences de réparation aux nouvelles générations.
Le business de la deuxième vie
Jusqu’à 2 500 entreprises de rénovation existent dans la grande région d’Accra, fournissant un emploi à 10 000 à 15 000 travailleurs.
D’autres régions du Ghana capitalisent également sur l’économie des déchets électroniques. Aux côtés des incubateurs, Appcyclers développe une plateforme de commerce électronique pour aider les autres à acheter et vendre des appareils électroniques d’occasion. Partout au Ghana, des initiatives tentent d’améliorer cette chaîne de valeur du recyclage.
Une écotaxe sur les déchets importés
Une loi signée en 2016 oblige les producteurs et importateurs au Ghana à payer une écotaxe avant d’importer de l’électronique neuve ou usagée. Les frais varient de 15 cents à 15 dollars, selon le type de produit. Cela permettra de financer un programme de gestion des déchets électroniques, qui devrait soutenir les usines de retraitement, la formation et l’éducation.
L’académie HOPin, un organisme de bienfaisance pour l’éducation qui a fourni des investissements de démarrage à Appcyclers, a organisé un «makerthon» sur les déchets électroniques l’année dernière, tandis que la plateforme Agbogbloshie Makerspace fournit un poste de travail mobile pour les entrepreneurs sur le site.
Soutenir la nouvelle économie du recyclage
En outre, la Société allemande de coopération internationale (GIZ) a mis en place un projet de création de nouveaux centres et cours de formation pour le recyclage des déchets électroniques et les méthodes d’élimination pour les recycleurs et les collecteurs de ferraille.
Parallèlement aux avantages environnementaux, Markus Spitzbart, qui coordonne le projet, considère que cette formation contribue à soutenir la nouvelle économie du recyclage.
Il donne l’exemple des aimants en néodyme trouvés dans les disques durs, qui sont extrêmement précieux mais qui peuvent ne pas être repérés dans une installation qui recycle simplement l’acier.
« Il est crucial de mettre en relation des entrepreneurs hautement qualifiés – les gars qui ont des idées – avec les travailleurs de la ferraille sur le terrain, car ils ont le matériel entre les mains », dit-il.
Aider les entrepreneurs
L’équipe de Markus Spitzbart a produit un manuel de formation sur les déchets électroniques visant à développer les meilleures pratiques en matière de traitement des déchets, telles que la récupération du cuivre des câbles électroniques à l’aide d’un dénudeur de câbles, au lieu de la combustion à ciel ouvert. La GIZ envisage actuellement de créer un atelier dans lequel des prototypes fabriqués à partir de déchets électroniques peuvent être testés.
En travaillant avec des gens comme la Meltwater Entrepreneurial School of Technology, un programme de formation panafricain et l’atelier de démarrage Impact Hub, la GIZ pourrait aider les entrepreneurs qui souhaitent commercialiser leurs innovations recyclées, dit-il.
L’avenir du recyclage
Les problèmes d’Agbogbloshie concernant la « fracture de la décarbonisation » demeurent cependant. « Tout ce qui a été fait est de savoir comment réaménager le lieu, et non les gens », explique le géographe urbain Ebenezer Amankwaa.
Les efforts passés pour assainir le site ont ignoré les travailleurs informels et spécialisés des déchets électroniques, les rénovateurs et les recycleurs qui traitent jusqu’à 95% des déchets électroniques du Ghana pour le recyclage.
Démolitions et réaménagements de la ville
Les autorités de la ville veulent réduire la menace d’incendies réguliers sur le site – un incendie en janvier a ravagé une section près du marché de l’igname – mais les démolitions structurelles à Old Fadama ont déplacé des milliers de travailleurs. Les démolitions se sont poursuivies ce mois-ci, entraînant le blocage de certains alors même que le Ghana a imposé un confinement partiel d’Accra en réponse à la pandémie de la COVID-19.
Les autorités d’Accra ont justifié une démolition en juin 2015 en disant que c’était un moyen d’approfondir et d’élargir la lagune de Korle à proximité après que les inondations eurent tué environ 150 personnes au début du mois. Les sites de traitement des déchets électroniques n’ont été sauvés qu’après les protestations des habitants.
Gouvernement et secteur informel
Pourtant, le site d’Agbogbloshie continue d’attirer des investissements pour améliorer la région. En février, les gouvernements ghanéen et allemand ont entamé la deuxième phase d’un programme de 10 millions d’euros de déchets électroniques qui a déjà financé un nouveau centre de formation technique et un centre de santé.
Ebenezer Amankwaa reste néanmoins sceptique quant au fait que les initiatives gouvernementales peuvent supplanter ce qu’offre déjà le secteur informel.
Les savoir-faire et les compétences
Il fait valoir que le futur développement du site devrait être inclusif, en tirant parti des techniques et des compétences des gens pour la collecte de matériaux. Cela pourrait simplement soutenir la prochaine génération de recycleurs et de rénovateurs.
« Vous pouvez fermer Agbogbloshie, mais vous ne pouvez pas [supprimer] les compétences, les talents et les connaissances de ces personnes », dit-il.
Fintan Burke
Cet article a d’abord été publié par SciDev.net