Les interruptions des programmes de vaccination dues à la pandémie de COVID-19 pourraient entraîner de nouvelles flambées de rougeole ou de polio.
Un nombre croissant de campagnes de vaccination ponctuelles et de programmes nationaux de vaccination de routine sont retardés en raison de la distanciation sociale et d’autres mesures visant à freiner la propagation du SRAS-CoV-2, laissant des millions de personnes sans protection.
La participation aux vaccinations de routine a baissé dans de nombreux pays vulnérables, les gens ne pouvant pas ou ne voulant pas se rendre aux séances proposées. Ce phénomène avait déjà été observé lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016.
Un nombre croissant d’enfants vulnérables
Avec des campagnes de prévention et de vaccination de routine impactées, « nous aurons un nombre croissant d’enfants qui deviendront vulnérables aux maladies évitables par la vaccination, ce qui conduira certainement à des épidémies », explique Richard Mihigo, directeur du programme pour la vaccination et le développement de vaccins au bureau Afrique de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Coïncidant avec la pandémie de COVID-19, « de telles épidémies ne recevront pas la même attention qu’en temps normal », ajoute-t-il.
Les campagnes de vaccination de masse suspendues
« Nous l’avons vu lors de l’épidémie d’Ebola [2013-2016] en Afrique de l’Ouest, où nous avions eu une épidémie de rougeole en même temps. Et récemment, nous avons vu en République démocratique du Congo (RDC) qu’une épidémie de rougeole qui se poursuit a tué plus de personnes que l’épidémie d’Ebola. Mais toute l’attention était sur Ebola », fait observer Richard Mihigo.
Suite à la recommandation de l’OMS le mois dernier de suspendre toutes les campagnes de vaccination de masse en réponse à la COVID-19, ce dernier déclare que des campagnes de prévention de masse – qui aident à combler les lacunes dans les endroits où la vaccination de routine est faible – ont été suspendues dans presque tous les pays africains, tandis que des campagnes ciblant les épidémies existantes sont gérées au cas par cas.
La plus grande épidémie de rougeole au monde
Ces campagnes suspendues comprennent notamment des programmes de prévention de la rougeole au Tchad, au Nigéria, en Éthiopie et au Soudan du Sud, ainsi qu’à Kinshasa, capitale de la RDC.
Plus de 6 000 personnes sont mortes depuis l’année dernière en RDC dans ce qui est actuellement la plus grande épidémie de rougeole au monde. Ces campagnes à elles seules visaient à atteindre 21,2 millions d’enfants de moins de cinq ans, explique Richard Mihigo.
13,5 millions de personnes touchées dans 13 pays
Pendant ce temps, Gavi, Alliance mondiale pour les vaccins, qui vaccine près de la moitié des enfants du monde, a annoncé ce mois d’avril que 14 campagnes de vaccination importantes soutenues par l’alliance avaient été reportées, ainsi que quatre campagnes de vaccination de routine.
Ces retards, qui ont un impact sur les campagnes contre la polio, la rougeole, le choléra, le papillomavirus humain (VPH), la fièvre jaune et la méningite, ont touché au moins 13,5 millions de personnes dans 13 des pays les moins avancés du monde, selon l’Alliance qui avertit que de nombreux retards supplémentaires sont attendus. L’Initiative mondiale pour l’éradication de la poliomyélite, qui a pour partenaires Gavi et l’OMS, a également recommandé de suspendre toutes les campagnes de vaccination contre la polio dans le monde.
La RDC particulièrement à risque
Les pays ayant des systèmes de santé fragiles et des conflits en cours – dont beaucoup n’ont pas encore ressenti le plein impact du nouveau coronavirus – sont les plus à risque, explique Charlie Weller, chef du programme de vaccins au Wellcome Trust.
Elle cite également la RDC, où Ebola a frappé dans les zones de conflits actifs, en tant que pays particulièrement à risque. « L’impact sur leur système de santé et la manière dont ils pourront gérer à travers et au-delà de la COVID-19 est une très grande préoccupation », dit-elle.
Prévenir des flambées potentiellement dévastatrices
Le directeur général de Gavi, Seth Berkley appelle pour sa part la communauté internationale à agir pour prévenir les flambées potentiellement dévastatrices de maladies évitables par la vaccination. « L’héritage de la COVID-19 ne doit pas inclure la résurgence mondiale d’autres tueurs comme la rougeole et la polio », indique-t-il.
Cependant, certains experts estiment qu’une augmentation des cas de maladies évitables par la vaccination est inéluctable. La couverture vaccinale diminuant, il y aura inévitablement davantage d’épidémies, notamment de maladies potentiellement mortelles comme la rougeole et la polio, affirme Zsuzsanna Jakab, directrice générale adjointe de l’OMS.
La nécessité d’une surveillance continue
Oliver Rosenbauer, porte-parole de l’OMS pour l’éradication de la poliomyélite, déclare que même si l’arrêt temporaire des campagnes de vaccination contre la polio était la « seule recommandation à faire dans cette nouvelle réalité », l’Organisation prévoit une augmentation des cas de polio en conséquence, y compris une possible propagation du virus à de nouvelles contrées.
Faisant écho à l’avertissement de Richard Mihigo concernant la COVID-19 qui détourne l’attention des autres épidémies, Olivier Rosenbauer souligne la nécessité d’une surveillance continue de la poliomyélite et d’un retour aux campagnes de vaccination « aussi rapidement que possible en toute sécurité. » « Nous ne devons pas oublier que tant que les enfants pakistanais sont exposés à la paralysie de la polio, alors, tous les enfants du monde, où qu’ils vivent, pourraient un jour être touchés », martèle-t-il. Le Pakistan et l’Afghanistan sont actuellement les seuls pays au monde encore touchés par le poliovirus sauvage, le WPV1.
Renforcer à long terme les systèmes de santé
Les experts s’accordent sur le fait que la mise en œuvre rapide et efficace de campagnes de vaccination de rattrapage sera vitale une fois la crise actuelle de la COVID-19 terminée. Ce projet pourrait être contrarié par les menaces récentes du président américain Donald Trump de supprimer des centaines de millions de dollars de financements à l’OMS.
Mais Charlie Weller souligne que bien que l’investissement dans les campagnes de rattrapage soit vital, il n’y aura pas de solution rapide.
« Il ne s’agit pas seulement de mettre un pansement ou du plâtre sur une baisse de la couverture vaccinale. Il s’agit d’aider ces pays à renforcer à long terme leurs systèmes de santé », souligne-t-elle.
Laura Mackenzie
Cet article a d’abord été publié par SciDev.Net.