L’économie informelle n’est pas souterraine ou illégale : elle correspond aux emplois précaires non recensés qui, dans certains pays, représentent la majorité des emplois. D’où l’importance de la quantifier.
Les pays en développement sont les royaumes de la débrouille. En l’absence d’opportunités d’emplois décents et d’aides sociales, les plus pauvres cultivent, échangent et exercent des emplois à domicile ou comme ambulants.
Une économie informelle tolérée et massive mais que les autorités ont du mal à quantifier. Et pour cause : les recensements officiels repèrent les entreprises par leur adresse physique, mais la méthode est inadaptée pour décrire la réalité de cette économie, où seules les activités bénéficiant d’une certaine réussite ont les moyens de s’installer dans des locaux.
Enquêtes dans les familles
Ce biais a longtemps permis aux gouvernements de laisser croire que l’économie informelle était celle des microentreprises dynamiques, celle des start-up. Une vision très enjolivée de la réalité
Pour combler cette lacune, entre 1986 et 1988 au Mexique, des chercheurs imaginent une nouvelle approche pour mieux détecter les acteurs de l’économie informelle. Leur idée ? Effectuer des enquêtes non pas dans les entreprises, mais au sein des familles, pour savoir d’où vient l’argent qui les fait vivre.
Le fonctionnement de l’économie informelle
Quelques années plus tard, en 1993, au Cameroun puis à Madagascar, cette approche est améliorée, engendrant les enquêtes dites « 1-2-3 ». Il s’agit de questionnaires mixtes, mêlant des questions sur les familles et les microentreprises informelles qu’elles dirigent, et qui, comme leur nom l’indique, présentent trois volets : le premier vise à comprendre les différents types d’emplois des membres du ménage, et donc à repérer les petites unités informelles qu’ils ont créées ; le deuxième est un questionnaire sur le(s) entreprise(s) détectée(s) ; et le troisième porte sur la consommation des ménages, qui souvent achètent à de petites entreprises informelles.
Devenues un standard international, ces enquêtes 1-2-3 ont permis de mieux prendre en compte l’importance et surtout le fonctionnement de l’économie informelle, qui représente 70 % des emplois dans les pays en développement et jusqu’à 90 % en Afrique subsaharienne, 80 % en Asie du Sud-Est et 55 % en Amérique latine.
« Les enquêtes sur le secteur informel et les microentreprises menées avec l’appui scientifique des chercheurs de l’IRD sont d’une importance cruciale pour le Vietnam. Elles permettent de combler le déficit de connaissances sur le sujet. Mais au-delà, elles ont des implications de premier plan en termes de contribution aux politiques publiques pour les populations laissées pour compte dans un contexte d’intégration internationale croissante et d’accélération du changement technologique. Pour la première fois au Vietnam, le Premier ministre a reconnu l’existence du secteur informel et la nécessité de le placer en haut des priorités de l’agenda officiel, avec l’élaboration de politiques ciblées qui devraient permettre à ces populations de participer au processus de croissance inclusive que le pays entend promouvoir. »
Nguyên Thang, Académie vietnamienne des sciences sociales, Hanoï, Vietnam
Cet article est reproduit de Science et Développement Durable – 75 ans de recherche au sud, IRD Éditions, 2019