Des équipes de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP, de l’IRD, de Sorbonne Université et de l’Inserm proposent une nouvelle méthode utilisant l’intelligence artificielle (IA) pour identifier les risques de développer l’arythmie cardiaque appelée Torsade de pointes.
La Torsade de Pointes (TdP) est un événement cardiaque plus ou moins fugace pouvant conduire à un arrêt cardio-circulatoire, puis à une mort subite si elle n’est pas prise en charge rapidement. Asymptomatique chez environ 50% des patients, elle est identifiée sur les électrocardiogrammes (ECG) par sa configuration particulière à l’origine de son nom, présentant un allongement de l’intervalle QT (qui désigne le laps de temps qui sépare les ondes Q et T sur le tracé d’un électrocardiogramme).
Le risque de ce trouble peut être héréditaire ̶ on parle alors de syndrome du QT long congénital (cLQTS) ̶ ou acquis, c’est-à-dire provoqué par la prise d’un médicament, dont certains anti-arythmiques, des antipaludiques ou encore certains types d’antidépresseurs et d’antibiotiques.
Mesure directe
La stratégie actuelle pour l’identification du risque de torsade de pointe repose sur la mesure de la durée de l’intervalle QT sur l’électrocardiogramme, corrigée par la fréquence cardiaque (QTc). Plus le QTc est long ou allongé suite à la prise d’un médicament, plus ce risque de torsade de pointe est considéré comme élevé. Cette méthode reste insuffisante et peu efficace, notamment pour la plupart des médecins qui prescrivent ces médicaments sans avoir un accès immédiat à une consultation d’expert en cardiologie et sont dans l’incapacité de quantifier correctement le risque de torsade de pointe chez leurs patients.
Entraîner des réseaux de neurones
Afin de fournir de nouveaux outils pour améliorer la prédiction de la survenue de torsades de pointe, des chercheurs de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP, de l’IRD, de Sorbonne Université et de l’Inserm ont évalué l’efficacité d’une nouvelle méthode originale, appelée DeepECG4U, qui cherche à identifier les altérations dans l’électrocardiogramme.
Cette méthode repose sur le « deep learning » ou l’apprentissage profond, approche de l’intelligence artificielle permettant d’imiter l’apprentissage cognitif. Les chercheurs ont donc utilisé les algorithmes du DeepECG4U pour entrainer des modèles de réseaux neuronaux convolutifs (CNN) à détecter certaines anomalies complexes sur l’électrocardiogramme de patients, liées à la prise de sotalol.
Un test sur 1 000 personnes
Ce médicament, utilisé en prévention des récidives de certaines tachycardies, agit en inhibant le courant potassique ̶ appelé IKr ̶ mais peut aussi être responsable des torsades de pointe d’origine médicamenteuse. Au-delà de l’allongement de QTc, le blocage d’IKr génère de multiples altérations morphologiques du signal ECG.
Les chercheurs ont donc testé les modèles CNN sur des enregistrements d’électrocardiogrammes d’une cohorte d’environ 1 000 individus sains, avant et après la prise de sotalol. « Nous avons constaté que les modèles fondés sur l’apprentissage profond surpassaient la performance des modèles utilisant seulement l’intervalle Q et T corrigé pour identifier le risque de torsade de pointe médicamenteuse », précise Edi Prifti, chercheur à l’IRD en intelligence artificielle appliquée aux maladies complexes, premier auteur de l’étude.
Plus d’électrocardiogrammes pour une meilleure précision
De plus, les modèles CNN avaient une capacité discriminante plus élevée en utilisant plusieurs ECG de 10 secondes issus d’un même individu, qu’en utilisant un seul ECG de 10 secondes. Les performances étaient comparables pour les modèles utilisant toutes les dérivations de l’ECG et ceux utilisant une seule dérivation.
Par ailleurs, sur une cohorte de 50 patients ayant développé une torsade de pointe d’origine médicamenteuse, les prédictions issues des modèles CNN reflétant le blocage d’IKr, étaient plus élevés pour un risque de torsade de pointes, et ce d’autant plus que les ECG avaient été effectués à un moment proche de la survenue de l’évènement.
Preuve de concept
En outre, les modèles CNN prédisant l’exposition au sotalol ont permis de détecter avec précision la présence et le type de syndrome du QT long congénital (cLQT) par rapport aux témoins sains, en particulier pour le cLQT2.
Cette preuve de concept apporte des données préliminaires prometteuses quant aux possibilités de prédiction des torsades de pointe d’origine médicamenteuse. « Ces résultats soulignent le potentiel encourageant des approches totalement automatiques fondées sur l’intelligence artificielle qui, couplées à des capteurs portables du signal ECG, pourraient améliorer la stratification du risque rythmique et ainsi prévenir les morts subites associées à la prise de médicaments couramment prescrits », souligne Joe-Elie Salem, maître de conférences en pharmacologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP/Sorbonne Université/Inserm, dernier auteur de l’étude.
Des applications dans les pays du sud
« Cette technologie, très abordable, pourrait connaître des développements et applications de santé publique dans les pays du Sud également, ajoute Edi Prifti. Nous avons initié des collaborations avec des partenaires sénégalais, afin d’adapter ces recherches aux spécificités des populations locales. »
Ces travaux ont fait l’objet d’un dépôt de brevet par l’AP-HP en 2019, en copropriété avec l’IRD, l’ICAN, l’Inserm, Sorbonne Université et Université de Paris, intitulé « Method for dectecting risk of torsades de pointes ». L’équipe de scientifiques et de médecins prévoit de poursuivre ces travaux, avec un soutien de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
Ce communiqué a d’abord été publié par l’IRD.