Un nouveau traitement des données satellitaires associé à une modélisation économique permet d’évaluer la possibilité d’atteindre l’une des cibles de l’ODD 7 en Afrique subsaharienne : l’accès de tous à des services énergétiques fiables et modernes, à un coût abordable, d’ici 2030.
En 2019, la population mondiale sans accès à l’électricité est passée pour la première fois sous la barre du milliard. Cette progression a toutefois été inégale, tant d’une région à l’autre qu’au sein d’une même région. Une nouvelle étude de l’IIASA montre que, pour garantir l’accès universel à des services d’électricité abordables, fiables et modernes d’ici 2030 en Afrique subsaharienne, le rythme de l’électrification doit plus que tripler.
L’essentiel des améliorations de l’accès mondial à l’électricité entre 2014 et 2019 a été observé en Asie centrale et méridionale et dans quelques régions d’Afrique. Près des deux tiers des personnes qui n’ont toujours pas accès à l’électricité, soit environ 570 millions de personnes, vivent en Afrique subsaharienne, où une trentaine de pays ont un taux d’électrification inférieur à 50 %, ce qui fait de cette région un foyer mondial de carence énergétique. Même dans les zones officiellement électrifiées, la consommation d’électricité et la fiabilité de l’approvisionnement sont largement insuffisantes.
Donner accès à l’électricité à 75 millions de personnes en plus chaque année
Selon les auteurs de l’étude, 520 millions de personnes en Afrique subsaharienne resteront sans accès à l’électricité d’ici 2030 si le déploiement de l’électrification au cours de la prochaine décennie maintient le même rythme que celui observé entre 2014 et 2019, et si les populations augmentent selon les estimations les plus récentes des Nations unies. Cela signifierait que pour atteindre l’indicateur 7.1.1 de l’objectif de développement durable 7, qui vise à garantir l’accès universel à des services énergétiques abordables, fiables et modernes pour tous d’ici 2030, les progrès doivent être accélérés immédiatement. En moyenne, près de 75 millions de personnes en plus devraient avoir accès à l’électricité chaque année jusqu’en 2030, contre 22 millions de personnes en moyenne par an pour la période 2014-2019.
Les chercheurs soulignent que les ensembles de données nécessaires pour relever ce défi ne sont pas toujours facilement disponibles, car leur production nécessite des enquêtes coûteuses et à grande échelle auprès des ménages, ce qui n’est pas faisable fréquemment dans tous les pays, voire pas du tout faisable. En outre, les statistiques nationales agrégées ne permettent pas d’évaluer le degré d’inégalité infranationale qui caractérise l’accès à l’énergie et sa qualité, ni la pression croissante induite par la croissance démographique et les migrations.
Utiliser les satellites pour obtenir des informations
Pour combler cette lacune, les chercheurs se sont appuyés sur des efforts antérieurs de traitement d’informations satellitaires. Les données satellitaires peuvent être un complément important à d’autres sources de données, et constituent une ressource peu coûteuse et rapidement mise à jour pour améliorer le suivi de la pauvreté énergétique, et en particulier, les progrès vers l’ODD 7.
On avait déjà montré que la combinaison de données sur l’éclairage nocturnes et sur les constructions peut être utilisée pour suivre le déploiement de l’électrification, cartographier les infrastructures de transmission et de distribution d’énergie, et mesurer le développement économique et les inégalités. La principale limite de cette approche est que l’éclairage nocturnes a été considéré principalement pour déterminer si les résidents d’une zone ont accès à l’électricité ou non. L’intensité de la lumière détectée n’avait pas été examinée pour en déduire et valider des mesures indirectes de la qualité de l’accès à l’électricité.
Une image plus claire de l’inégalité d’accès à l’électricité
« La question clé que nous voulions aborder était de savoir si les données satellitaires sur les éclairages nocturnes ont le potentiel d’aider les institutions à suivre l’accès à l’électricité, en complétant et en validant une variété d’informations dérivées des ménages. En particulier, nous introduisons un indicateur géospatial à faible coût qui peut être mis à jour facilement et en temps quasi réel. Un autre objectif important était de se faire une idée plus précise des inégalités dans les progrès récents en matière d’accès à l’électricité, tant au niveau national qu’infranational. La partie la plus novatrice de notre travail concerne toutefois la capacité à relier l’utilisation de l’électricité à la luminosité mesurée par satellite afin de définir des niveaux d’accès fondés sur le cadre multi-niveaux de la Banque mondiale et de permettre l’estimation de la pauvreté énergétique, même lorsque l’infrastructure électrique est disponible », explique Giacomo Falchetta, premier auteur de l’étude et chercheur dans le cadre du programme « Énergie du futur » de la Fondazione Eni Enrico Mattei (FEEM) en Italie.
Des dynamiques différentes dans les zones rurales et urbaines
Les tendances sous-jacentes analysées dans l’article révèlent qu’il faut tenir compte d’autres dimensions et d’autres dynamiques telles que l’évolution à des vitesses différentes des zones urbaines et rurales, tant en termes d’électrification que de démographie. En termes relatifs, l’électrification a progressé plus rapidement dans les zones rurales que dans les zones urbaines, et pourtant, l’essentiel des progrès a eu lieu dans les zones urbains.
Parmi les personnes ayant accès à l’électricité, on constate une grande diversité dans les niveaux de qualité d’accès. Par exemple, dans certains pays où l’accès à l’électricité a récemment connu une forte croissance, l’utilisation finale estimée reste faible pour les ménages nouvellement électrifiés.
Les nouveaux clients consomment très peu d’électricité
Cela est conforme aux conclusions d’études précédentes qui ont montré une très faible consommation d’électricité par les clients nouvellement connectés. Cette situation pourrait être attribuée à l’utilisation limitée des appareils ménagers par les pauvres.
Les défis posés par l’extension de l’infrastructure du réseau central aux régions éloignées ont entraîné une pénétration croissante du marché des solutions énergétiques décentralisées qui, selon les prévisions, constituent l’option la moins coûteuse pour fournir de l’électricité aux ménages actuellement sans accès dans de nombreux endroits d’Afrique subsaharienne. Il convient d’être prudent dans le dimensionnement de ces solutions distribuées car si elles sont sous-dimensionnées, elles risquent d’être insuffisantes pour répondre à la demande croissante des différents secteurs et donc d’exacerber les inégalités, tandis qu’un surdimensionnement pourrait rendre le système économiquement non viable tant pour les utilisateurs que pour les entreprises qui le gèrent.
La fourniture d’électricité dans les villes subsahariennes sera plus difficile
Enfin, comme l’Afrique subsaharienne connaît déjà une urbanisation rapide, l’analyse suggère qu’il pourrait être de plus en plus difficile de fournir un accès sûr et durable même aux centres urbains à densité de population relativement élevée. L’expansion des infrastructures dans les bidonvilles est particulièrement délicate en raison de la configuration géographique de ces zones, des risques juridiques, réglementaires et de marché pour les investisseurs, et de la capacité des pauvres à s’offrir l’électricité.
Les auteurs affirment que, pris ensemble, ces résultats soulèvent des questions sur l’efficacité des plans et programmes d’électrification et suggèrent la nécessité d’évaluer de manière critique le succès des programmes d’électrification au-delà de leur rôle dans l’amélioration des statistiques nationales d’accès à l’électricité. Cela implique également que de grands écarts dans la demande non satisfaite pourraient subsister à la fois entre les pays et au sein de ceux-ci, même dans un scénario d’électrification universelle d’ici 2030.
Il ne s’agit pas seulement de raccordements
« Les politiques visant à atteindre l’ODD 7 d’accès universel à l’électricité doivent faciliter la planification à long terme et assurer un niveau décent de service d’électricité à tous, au-delà des simples connexions. Cela nécessite une planification de l’expansion des infrastructures qui soit proportionnelle et évolutive en fonction de la croissance ultérieure de la demande à mesure que les revenus augmentent. La reconnaissance de la dimension géographique importante de l’accès à l’électricité place les régions éloignées dans une situation nettement désavantageuse. Dans le même temps, les frais élevés de raccordement au réseau, ainsi que d’autres obstacles, peuvent limiter l’expansion de l’accès, même pour les ménages qui sont raccordés aux réseaux nationaux existants. Pour surmonter ces obstacles, il faut des systèmes de paiement intelligents et des modèles économiques innovants », conclut Shonali Pachauri, co-autrice de l’étude et directrice du programme Transitions vers les nouvelles technologies de l’IIASA.
Cet article a d’abord été publié par l’IIASA.