Des organisations non gouvernementales veulent faire pression sur l’industrie automobile pour réduire les dégradations sociales et environnementales associées à l’exploitation de la bauxite en Guinée et au Ghana.
Dans un rapport publié fin juillet et intitulé « L’aluminium, angle mort du secteur automobile », les organisations internationales Human Rights Watch et Inclusive Development International appellent les constructeurs automobiles à prendre un certain nombre de mesures en vue de lutter contre les atteintes aux droits de l’homme dans leurs chaînes d’approvisionnement en aluminium.
Les constructeurs automobiles devraient par exemple commencer par s’assurer que des normes contraignantes en matière d’environnement et de droits humains sont intégrées dans leurs conventions d’achat avec leurs fournisseurs directs.
Permettre aux communautés de porter plainte
En outre, il leur est recommandé de « se rapprocher des mines, des raffineries ou des fonderies impliquées dans les atteintes aux droits humains pour les aider à élaborer des plans d’actions correctives assortis d’un calendrier et de voies de recours pour les victimes ».
Le rapport invite ensuite les constructeurs à élaborer des mécanismes de gestion des griefs permettant aux communautés affectées de porter plainte en cas d’atteintes aux droits humains.
Soutenir l’élaboration de lois
Enfin, les auteurs du rapport appellent les constructeurs automobiles à soutenir l’élaboration de lois exigeant de tous les acteurs commerciaux qu’ils adoptent une démarche « sérieuse » en matière de droits humains, y compris au sein de leurs chaînes d’approvisionnement.
Ces recommandations découlent des constats que ses auteurs ont faits dans les pays producteurs de bauxite (la matière première de l’aluminium), à l’instar de la Guinée qui est en passe de devenir le plus gros producteur de bauxite au monde, avec une part de marché passée de 4 % (soit 17 millions de tonnes) en 2014 à 22 % (82 millions de tonnes) en 2020.
Destruction des terres cultivées
Or, à Boké dans le nord du pays, les communautés expliquent dans le rapport comment l’exploitation minière détruit les terres qu’elles cultivent depuis des générations, détériorant l’environnement dont elles dépendent pour leur subsistance et leur alimentation. Les laissant dans la précarité, sans les services de base comme l’eau et l’électricité.
Car, apprend-on, ces destructions ne découlent pas toujours d’un consensus avec les populations locales et ne s’accompagnent pas souvent des compensations ni des indemnisations et des investissements au profit de leurs victimes, comme le prescrit le droit international.
Nombreuses violations des des droits
Amadou Bah, directeur exécutif de l’ONG Action Mines Guinée résume la situation : « L’exploitation minière en Guinée génère des violations qui ont plusieurs facettes : elles sont liées aux expropriations, à la pollution, au droit du travail, à la mauvaise gestion des attentes des communautés et parfois à la mauvaise application de la législation en la matière. »
Dans un entretien avec SciDev.Net, il souligne que cette situation génère souvent des tensions entre les entreprises minières et les communautés vivant aux alentours des projets miniers.
L’industrie automobile, principale consommatrice
David Pred, éditeur du rapport pour le compte d’Inclusive Dévelopment International, affirme que le rapport interpelle en particulier l’industrie automobile pour la réparation de ces torts parce qu’elle consomme 20% de l’aluminium dans le monde ; et cette part devrait doubler dans les 30 prochaines années.
Or, confie-t-il à SciDev.Net, « bien que de nombreux grands constructeurs automobiles mondiaux se soient publiquement engagés à lutter contre les violations des droits de l’homme dans leurs chaînes d’approvisionnement, ils ont concentré leur diligence raisonnable sur d’autres matériaux essentiels aux véhicules électriques, tels que le cobalt, nécessaire aux batteries électriques, et n’ont pas fait grand-chose pour évaluer et aborder l’impact considérable que la production de l’aluminium a sur les communautés locales et l’environnement. »
Respect des normes sociales
L’américain Ford n’a pas répondu aux questions de SciDev.Net. En revanche, l’allemand Volkswagen confie qu’il prend « très au sérieux » sa responsabilité en tant qu’entreprise dans le domaine des droits de l’homme.
« Notre travail avec nos usines, nos sociétés de vente et nos fournisseurs est basé sur le respect des minorités, la représentation des employés, les normes sociales et du travail. Nous attendons la même chose de nos partenaires commerciaux dans le monde entier », précise Esra Aydin, porte-parole par intérim pour l’engagement corporatif et le développement durable chez Volkswagen.
Exigences en matières de développement durable
« Seuls les fournisseurs qui acceptent nos exigences en matière de développement durable et s’engagent à les respecter peuvent établir une relation commerciale avec Volkswagen », martèle cette dernière.
Même son de cloche chez Audi, autre constructeur allemand, qui dirige par ailleurs les activités aluminium du groupe Volkswagen et est membre de l’Aluminium Stewardship Initiative (ASI) depuis 2013. Ici, on dit prendre « très au sérieux notre responsabilité envers les personnes et l’environnement ».
Engager un dialogue
Cependant, « pour des raisons de protection des données et de droit de la concurrence, nous n’avons aucune connaissance de la chaîne d’approvisionnement complète de l’aluminium jusqu’à la mine de bauxite », nuance Sabrina Kolb, porte-parole pour le développement durable chez Audi.
Selon cette dernière, l’importance de la Guinée en tant qu’acteur important dans l’extraction de la bauxite est reconnue au sein de l’ASI et des contacts ont été noués avec des représentants d’associations, tout comme il est demandé aux acteurs impliqués de s’engager dans un dialogue.
Aluminium certifié
« Nous pensons que la part croissante de l’aluminium certifié sur le marché, y compris les opérations minières certifiées, est le bon moyen d’instituer des chaînes d’approvisionnement plus durables », affirme Sabrina Kolb.
De son côté, Toyota Motor Europe par la voix de Paul Greaves, son responsable de la communication d’entreprise affirme que « nous nous efforçons de minimiser l’impact de nos activités d’approvisionnement sur les communautés locales, et nous demanderons à nos fournisseurs de prendre des mesures pour éviter d’utiliser certains matériaux s’il y a un problème concernant la source ».
Des normes plus contraignantes
« Dans le cadre de ces efforts, nous pouvons demander à un fournisseur d’apporter des améliorations, et nous assurons le suivi de ces activités d’amélioration si nécessaire », ajoute-t-il.
Amadou Bah pense que les constructeurs automobiles peuvent effectivement aider à conscientiser les entreprises minières quant à leurs responsabilités et à édicter des normes « beaucoup plus contraignantes et responsables » à appliquer.
L’engagement de l’État
« Mais, dit-il, le principal rôle revient à l’État qui a la charge de légiférer, de contrôler l’application de la législation et qui a la responsabilité de protéger les investissements et les communautés vivant dans les zones d’exploitation minière. »
Les auteurs de ce rapport disent s’attendre à ce que les sociétés minières de bauxite prennent des dispositions « claires et mesurables » pour prévenir les dommages causés aux communautés locales par leurs opérations et fassent des investissements substantiels dans la réhabilitation des terres, la restauration de l’eau et le développement communautaire.
« Nous surveillerons la situation sur le terrain dans des pays comme la Guinée et le Ghana et les mesures que les constructeurs automobiles prendront. Nous continuerons de faire pression sur l’industrie automobile », s’engage David Pred.
Julien Chongwang
Cet article a d’abord été publié par SciDev.Net.