Dans cet entretien accordé lors de la cérémonie d’ouverture de l’IYBSSD, le physicien et Prix Nobel Serge Haroche insiste sur le besoin de recherche fondamentale pour la planète.
Il faut que l’éducation et l’esprit scientifique infusent beaucoup plus dans la société, parce que les problèmes qui se posent aujourd’hui sont des problèmes qui ne peuvent être résolus que par la science.
Mon domaine, c’est la physique atomique et la physique quantique. Ça fait partie d’un domaine qu’on appelle l’information quantique. C’est d’utiliser les propriétés étranges du monde quantique pour développer de nouvelles formes de communications ou de calculs ou d’appareils de mesure plus performants.
La réalisation de l’ordinateur quantique peut-elle avoir des débouchés concrets ?
On a un but lointain qui est par exemple un ordinateur quantique qui est un but un peu mythique, qui est dans un avenir lointain, mais on progresse étape par étape et à chaque étape, on a des idées qui nous permettent de réaliser des appareils qui ne sont pas encore l’appareil final mais qui pourront être utiles à d’autres choses. Le problème de l’ordinateur quantique, c’est que les systèmes quantiques sont très fragiles et leur fragilité, c’est ce qu’on appelle ce qu’on appelle la décohérence, ça détruit les phénomènes de superposition d’état qui sont utiles pour le calcul quantique. Mais cette fragilité, elle a des avantages, elle rend ces systèmes extrêmement sensibles. Et donc ces systèmes formés de quelques atomes ou de quelques petits circuits, peuvent servir à détecter des petits champs électriques ou des petits champs magnétiques avec beaucoup plus de sensibilité qu’avant. Donc on passe de l’ordinateur quantique qui est un espèce de but très ambitieux à long terme à la métrologie quantique qui est l’exploitation des phénomènes que l’on met en évidence pour faire des choses auxquelles on n’avait pas pensé au départ.
Peut-on faire le lien entre vos recherches et le développement durable ?
Le lien n’est pas proche en fait, entre la recherche fondamentale et les applications, il se passe souvent des délais importants. La dizaine d’années, c’est un peu un minimum. Et si on prend toutes les toutes les applications, toutes les inventions qui ont révolutionné notre vie au XXᵉ siècle, ça a été comme ça. Le laser, entre l’idée initiale du laser et sa réalisation, il s’est passé 30 ou 40 ans.
Un exemple d’instrument à l’avenir prometteur ?
Un type d’instruments qui ont fait des progrès absolument gigantesques au cours des dernières années, ce sont les horloges atomiques. Les horloges atomiques maintenant ont une précision absolument inimaginable : deux horloges qui auraient été synchronisées au début de l’univers il y a 13 ou 14 milliards d’années ne dévieraient pas l’une de l’autre de plus d’un 20ᵉ de seconde aujourd’hui. Avec cette précision extraordinaire, on fait des tests de la théorie de la relativité restreinte et générale d’une précision extraordinaire. Donc ce n’est pas du grand public, mais ça peut améliorer le GPS. On peut imaginer que de telles horloges pourront prévoir des tremblements de terre. Donc voilà une application qui est envisagée pour les années qui viennent.
Quel est votre vœu le plus cher pour cette année à venir ?
Je pense qu’il est très important que le grand public, même les gens qui ne font pas des sciences, soient sensibles à l’importance de la science pour répondre aux problèmes qui se posent actuellement et aux valeurs de la science qui ne sont pas bien comprises : des valeurs d’objectivité, de rationalité et de rejet de tout ce qui est fausses nouvelles, théories complotistes, ou théories des vérités alternatives qui sont destructrices pour la science.
Interview réalisée par Laurent Orluc