La pandémie due au coronavirus rappelle aux gouvernements que le soutien à la science et aux scientifiques est un effort nécessaire et à long terme. La cas du Nigeria.
La pandémie de COVID-19 est l’une des pires crises de notre époque. À l’heure où j’écris, plus d’un million de personnes ont été infectées, et plus de 60 000 sont décédées. Cette crise a plongé dans le chaos même les pays les plus avancés, a frappé de plein fouet l’économie mondiale, a entraîné la suspension de nombreuses activités (par exemple le sport), le verrouillage des villes, la mise en quarantaine des personnes les plus influentes, tel le Premier ministre britannique. Le monde se tourne maintenant vers les scientifiques pour trouver une solution à long terme.
La majorité des pays développés s’appuient sur les conseils des scientifiques pour concevoir leurs politiques visant à minimiser ou à ralentir la transmission de COVID-19 afin de ne pas provoquer l’effondrement de leurs systèmes de santé. Tandis que les pays continuent à utiliser des mesures pour « aplatir la courbe », le monde observe et attend que les scientifiques développent des vaccins ou des médicaments pour stopper cette pandémie.
Les scientifiques sous-estimés
Malheureusement, au Nigeria, les scientifiques sont sous-estimés. En outre, il existe de nombreuses idées fausses sur leur rôle. Souvent, les gens confondent les chercheurs et les médecins. Les deux qualités sont parfois confondues, mais dans la plupart des situations, ils jouent des rôles différents.
Et bien que les médecins praticiens jouent un rôle indispensable dans tous les aspects de la santé humaine, cet article porte sur les solutions apportées par la science. S’il y a une leçon que nous devrions tous tirer de la pandémie de COVID-19, c’est que nous devons soutenir la science ! Je résume ici mes arguments, et certains des obstacles qui affectent la science au Nigeria.
Gagner du temps
Dans la lutte actuelle contre la COVID-19, l’une des stratégies clés recommandées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est de tester le plus grand nombre d’individus possible. L’une des raisons est d’identifier, d’isoler, de retrouver la trace des personnes atteintes de la maladie, et de faire en sorte qu’elles reçoivent les soins nécessaires, ce qui permet de réduire la propagation du virus.
Le dépistage n’arrêtera pas la propagation du virus, mais il permettra aux pays de contenir la propagation de l’infection, et donc de réduire l’impact sur le système de santé qui peut résulter d’une augmentation du nombre de personnes infectées en même temps. Cette stratégie permettra au système de santé de continuer à fonctionner en attendant qu’un vaccin efficace ou un médicament ne soit produit par la recherche scientifique. Cela souligne l’importance de la recherche scientifique !
Dépendre du Nord
Des vaccins contre la COVID-19 sont actuellement en cours de développement dans de nombreux pays. Aucun de ces développements n’a lieu en Afrique subsaharienne. Comme d’habitude, nous attendons que les scientifiques du Nord produisent des vaccins que nous achèterons, que nous supplierons d’obtenir, ou que nous testerons comme des cobayes, comme l’on déclaré deux scientifiques français.
En temps de crise, les gens ont tendance à se préoccuper d’abord d’eux-mêmes. En mars, le président Trump a offert sans succès une somme importante pour l’accès exclusif des États-Unis à un vaccin contre la COVID-19, actuellement mis au point par une société médicale allemande. Il y a quelques jours, il a empêché une société de fabrication américaine d’envoyer des respirateurs au Canada. Ces exemples suggèrent que nous devrions améliorer nos capacités scientifiques.
Des problèmes Africains
Nous n’obtiendrons pas toujours l’aide dont nous avons le plus besoin si nous dépendons des autres. Même si des vaccins et les médicaments contre la COVID-19 finissent par être mis au point et sont disponibles dans le monde entier, nous aurons, en tant que nation, d’autres problèmes qui nous sont propres (par exemple la fièvre de Lassa). Qui nous viendra en aide si nous ne soutenons pas la recherche locale pour résoudre certains de ces problèmes ?
Il est intéressant de noter qu’en février, le Ministère des Sciences et de la Technologie a annoncé qu’il récompenserait à hauteur de 36 millions de Naira (86 000 €) tout scientifique qui mettrait au point un traitement contre la COVID-19 et contre la fièvre de Lassa. Bien que cela soit louable, comment des chercheurs pourraient-ils y parvenir sans un bon laboratoire et sans l’argent nécessaire à la recherche ?
Soutenir les chercheurs africains
Avec une équipe de plus de 10 chercheurs africains, nous avons publié l’année dernière un article dans le European Journal of Neuroscience dans lequel nous avons montré qu’au cours des 20 dernières années, 8 % seulement des recherches menées par les neuroscientifiques nigérians ont utilisé plusieurs méthodes « avancées » qui sont facilement accessibles aux chercheurs hors d’Afrique, telles que la réaction en chaîne par polymérase (PCR), la fluorescence ou la microscopie électronique. Pour mettre les choses en perspective, plus de la moitié des prix Nobel de physiologie ou de médecine décernés au cours des deux dernières décennies ont utilisé des méthodes de recherche aussi avancées.
De plus, ce sont les méthodes actuellement utilisées par les chercheurs pour tester et comprendre la COVID-19 et le processus de la maladie. Pour résoudre nos problèmes scientifiques, nous devons investir pour équiper les laboratoires nigérians d’outils de recherche modernes et soutenir les chercheurs par des subventions.
Plus d’équipement et plus de temps
De plus, en raison de la pandémie de COVID-19, des milliers de scientifiques dans le monde entier donnent de leur temps pour aider à vaincre le virus, par exemple en augmentant les capacités de test. En Allemagne, 500 000 PCR par semaine sont effectuées pour tester les citoyens vis-à-vis de la COVID-19. Si nos laboratoires de recherche scientifique étaient équipés, nos chercheurs donneraient également un coup de main pendant ces moments difficiles pour soutenir nos efforts continus pour vaincre cette pandémie.
Une fois de plus, l’un des problèmes importants qui touchent les chercheurs nigérians est la charge d’enseignement trop importante. Dans les pays du Nord, les postes d’enseignement et de recherche sont souvent séparés. Quand ce n’est pas le cas, les chercheurs disposent de suffisamment de temps pour leurs recherches. Au Nigeria, la plupart des universités se concentrent davantage sur l’enseignement que sur la recherche. Cela signifie que les universitaires n’ont pas le temps nécessaire pour mener des recherches et faire des découvertes
Augmenter la productivité scientifique
Cela affecte la productivité et la qualité de la recherche qu’ils produisent. Tant que cela ne changera pas, même si le gouvernement injecte davantage de fonds dans la recherche, les chercheurs ne seront pas productifs au niveau attendu. C’est un problème auquel le Ministère de l’Éducation doit s’attaquer.
En ces temps difficiles, les idées fausses et la désinformation sur la science atteignent des sommets, en particulier sur les médias sociaux. Cela inclut des théories conspirationnistes sur l’origine de la COVID-19, des traitements à base de plantes médicinales non testées, et même la négation de l’existence du virus. Quelques scientifiques nigérians ont aussi alimenté cette confusion de manière non professionnelle en prétendant avoir développé un remède à la COVID-19 sans présenter de preuves scientifiques.
La science par media interposés
Selon un rapport, un professeur d’université a déclaré avoir découvert un remède pour la COVID-19. À ce titre, « il met au défi toute institution ou agence de santé de lui apporter tout cas connu de coronavirus et de voir comment il va disparaître en quelques jours. »
Ce n’est pas ainsi que l’on fait de la science ! Les découvertes scientifiques sont d’abord annoncées par des publications scientifiques, et non par les médias. Tout chercheurs qui se précipite vers la presse pour faire de telles affirmations sans passer par la communauté scientifique ne doit pas être pris au sérieux.
Communiqué la science vérifiée
De nombreux chercheurs du Nord s’engagent dans la communication scientifique pour lutter contre ces idées fausses et ces informations erronées. Cependant, à l’heure actuelle, la communication scientifique n’est pas très appréciée par les chercheurs nigérians.
Dans des moments de peur et d’incertitude comme la situation actuelle, les chercheurs nigérians pourraient contrer ces idées fausses et cette désinformation dans leurs communautés. Cela aiderait le gouvernement à maintenir la paix et la santé des citoyens.
Tirer les leçons de la crise
C’est la raison pour laquelle nous avons créé des pages consacrées à la COVID-19 sur Science Communication Hub Nigeria et African Science Literacy Network, pour lutter contre les idées fausses sur la science en anglais et dans les langues locales. Pour encourager cette démarche au Nigeria, la communication scientifique doit être stimulée. Par exemple, elle pourrait devenir un élément des promotions universitaires, une condition pour l’obtention de bourses de recherche nationales, et les communicateurs scientifiques actifs devraient être récompensés par le gouvernement et les sociétés scientifiques pour leurs services.
En conclusion, la crise de la COVID-19 réaffirme l’importance de la science et la raison pour laquelle nous devons continuer à soutenir les chercheurs. Le Nigeria devrait s’en inspirer pour améliorer l’état de la science dans le pays et soutenir ses chercheurs pour qu’ils fassent de la recherche de classe mondiale.
Les maladies vont continuer à nous attaquer. Les chercheurs font partie intégrante de notre défense contre de telles attaques. Nous devons les soutenir pour qu’ils soient préparés.
Mahmoud Bukar Maina
Mahmoud Bukar Maina est un scientifique, éducateur et chercheur nigérian, basé à l’université du Sussex, au Royaume-Uni. Ses recherches portent sur la neurodégénérescence. En plus de ses recherches, Mahmoud est un communicateur scientifique passionné. Il est le coordinateur de la sensibilisation pour TReND in Africa, le fondateur du Science Communication Hub Nigeria et d’African Science Literacy Network, par le biais duquel il effectue un travail de sensibilisation pour inciter les jeunes en Afrique à poursuivre leurs études scientifiques et pour mieux faire comprendre la science au public. Il peut être contacté via @mahmoudbukar
Ce article a d’abord été publié sur Science Communication Hub Nigeria.