Alors que l’Union européenne étudie une nouvelle législation visant à certifier les technologies d’élimination du carbone, les experts craignent que les milliards des contribuables aillent à des technologies vouées à l’échec.
Alors que l’Union européenne discute d’une nouvelle législation visant à certifier les technologies de suppression du carbone, les académies des sciences européennes tirent la sonnette d’alarme : les milliards des contribuables iront à des technologies qui risquent de ne pas tenir leurs promesses.
« On suppose que la bioénergie avec captage et stockage du carbone (BECCS) peut éliminer des gigatonnes de CO2 de l’atmosphère. Mais les décideurs politiques devraient regarder avant de se lancer. Le potentiel réel du BECCS contraste fortement avec le rôle prépondérant qu’il joue dans de nombreux scénarios », explique le professeur Michael Norton, directeur du programme Environnement de l’EASAC.
La capacité du système BECCS à tenir ses promesses
Un nouveau commentaire intitulé « Le système BECCS et son rôle dans les modèles d’évaluation intégrée » examine les dernières données sur la capacité du système BECCS à assurer une élimination nette substantielle du CO2 de l’atmosphère. Il montre que les modèles qui désignent le BECCS comme une technologie à émissions négatives privilégiée pour atteindre les objectifs climatiques peuvent présenter des faiblesses bien cachées.
« De nombreux modèles ignorent le fait que les différentes matières premières ont des périodes de récupération du carbone différentes, considérant à tort que toute la bioénergie est neutre en carbone. Or, de même qu’il existe des différences de teneur en carbone entre les différents combustibles fossiles, il existe des différences significatives dans l’impact climatique de la bioénergie en fonction de son origine », explique M. Norton.
BECCS dans les modèles
Le commentaire constate également que les modèles accordent peut-être trop d’importance aux BECCS, et ce pour plusieurs raisons. L’une d’elles est que les outils de modélisation du climat supposent des taux d’actualisation élevés qui favorisent le report des investissements dans l’avenir (plutôt que de dépenser maintenant pour réduire davantage les émissions). En outre, les modèles de minimisation des coûts peuvent avoir du mal à anticiper les réductions rapides des coûts des autres énergies renouvelables.
« Le fait de miser sur des technologies futures telles que le BECCS pour compenser plus tard des réductions d’émissions insuffisantes aujourd’hui fait courir des risques importants aux générations futures. Les décideurs ont tendance à supposer que le BECCS sera non seulement capable d’éliminer massivement le carbone de l’atmosphère, mais qu’il sera aussi techniquement et économiquement réalisable. Or, d’après les données actuelles, les projets BECCS devraient être de taille limitée, toutes les matières premières devraient être fournies localement et les délais de récupération du carbone des matières premières devraient être très courts », explique M. Norton. En outre, de nombreux scénarios pour le BECCS supposent que des quantités irréalistes de biomasse seront disponibles.
Pas d’offre de subventions
« Si nous examinons les données scientifiques, il existe un écart important entre l’utilisation supposée de la biomasse et les quantités disponibles qui sont durables et n’entrent pas en conflit avec des utilisations de plus grande valeur comme la production alimentaire, la conservation des écosystèmes, les contraintes environnementales et sociales ainsi que les demandes accrues pour d’autres utilisations. Cet écart peut parfois atteindre 60 % », explique le professeur Lars Walloe, président du comité directeur de l’environnement de l’EASAC.
William Gillett, directeur du programme Énergie de l’EASAC, ajoute : « Nous ne prétendons pas que le BECCS ne pourra jamais devenir une option. Mais tant que les hypothèses sous-jacentes concernant les disponibilités et les périodes de récupération du carbone des différentes matières premières de la biomasse utilisées dans les modèles d’évaluation intégrée n’auront pas été affinées, et que les avantages et la faisabilité du BECCS ne seront pas prouvés, l’UE et les gouvernements nationaux ne devraient pas offrir de subventions. »
Le BECCS comme solution climatique
M.Norton conclut : « Supposer la neutralité carbone du BECCS et surestimer les impacts à court terme signifie que nous nous faisons des illusions. Mais en augmentant le risque que les températures dépassent les points de basculement critiques, nous pourrions bientôt découvrir qu’aucune bonne action ne reste impunie. Si, par exemple, les plus grandes centrales électriques d’Europe, qui dépendent de granulés de bois importés, étaient adaptées au système BECCS, il est très peu probable qu’elles produisent des émissions négatives après avoir pris en compte toutes les fuites de carbone dans l’atmosphère. Au contraire, cela ne ferait que cimenter un système énergétique non durable.»
Le danger demeure que le BECCS soit proposé aux décideurs politiques comme une solution climatique pour éviter les options d’atténuation plus difficiles politiquement. Pour éviter cela, l’EASAC plaide fortement pour que les objectifs nationaux et internationaux séparent formellement les objectifs d’élimination du dioxyde de carbone (EDC) et les objectifs de réduction des émissions dans leurs stratégies climatiques, de sorte que toute EDC soit traitée comme un complément à la réduction des émissions.
Pour résoudre les incitations perverses que les analyses de l’EASAC ont identifiées, la Commission devrait s’appuyer sur ses orientations en cascade pour l’utilisation de notre offre limitée de forêts durables afin de donner la priorité aux utilisations à haute valeur ajoutée, et ne pas subventionner les utilisations les moins prioritaires pour l’énergie ou le BECCS qui contribuent peu à l’atténuation du changement climatique.
Cet article a été extrait de EASAC.