Après que le COVID-19 a creusé les inégalités de santé entre les hommes et les femmes, Aïssatou Diawara estime que la réduction du financement des maladies négligées frappe également les femmes.
Les inégalités en matière de santé entre les femmes et les filles d’un côté et les hommes de l’autre, déjà criantes avant le COVID-19, se sont creusées de manière flagrante pendant la pandémie. Les confinements ont restreint l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive, augmenté la violence contre les femmes et interrompu l’éducation des filles.
Selon les Nations unies, cela risque de faire basculer 47 millions de femmes et de filles dans l’extrême pauvreté. En outre, selon Aïssatou Diawara, conseillère technique à l’Institut mondial pour l’élimination des maladies (GLIDE), le financement des maladies tropicales négligées (MTN) a été réduit et l’accès aux traitements contre le paludisme est bloqué, ce qui a des conséquences particulières pour les femmes et les filles. Selon elle, les décideurs politiques et les chercheurs doivent placer le genre au centre des efforts de lutte contre ces maladies à l’ère du COVID-19.
Les défis à relever pour atteindre l’égalité entre les sexes
L’inégalité entre les sexes reste l’un des problèmes les plus répandus en matière de santé et de développement dans le monde. Réduire ces inégalités est désormais un objectif explicite de l’Agenda 2030 pour le développement durable, les dernières années ont été marquées par une intensification des efforts visant à garantir l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Mais d’énormes inégalités de genre subsistent dans les pays où les maladies comme les MTN et le paludisme, sont endémiques.
Les MTN touchent plus d’un milliard de personnes dans le monde. Les femmes et les filles sont touchées de manière disproportionnée. Les jeunes filles, par exemple, doivent souvent abandonner l’école pour s’occuper des membres de leur famille [malades], ce qui limite leurs possibilités d’éducation à long terme et leurs perspectives d’emploi. De même, une analyse récente menée par des chercheurs de l’Institut suisse de santé tropicale et de l’université de Columbia a révélé que les femmes consacrent quatre fois plus de jours que les hommes à la garde non rémunérée des enfants en raison des cas de paludisme dans le ménage.
Le COVID-19 a fait reculer les progrès enregistrés
Les perturbations causées par la pandémie de COVID-19 ont exacerbé les inégalités entre les sexes en matière de santé. Les recherches [publiées en 2020] montrent que depuis le début de la pandémie, plus de tests de diagnostic ont été développés pour le COVID-19 que pour l’ensemble des 20 MTN au cours des 100 dernières années. La pandémie a également eu des répercussions sur l’accès aux traitements contre le paludisme. Le récent rapport sur le paludisme de l’Organisation mondiale de la santé a enregistré une estimation de 241 millions de cas de paludisme et 627 000 décès dus au paludisme dans le monde en 2020 – 14 millions de cas de plus en 2020 par rapport à 2019, et 69 000 décès de plus. Bien que ces données n’aient pas été ventilées par sexe, les femmes enceintes sont trois fois plus susceptibles de souffrir d’une maladie grave à la suite d’une infection palustre par rapport à leurs homologues non enceintes et ont un taux de mortalité dû à une maladie grave de près de 50 %.
Rôle des politiques et les chercheurs
Les décideurs politiques et les chercheurs doivent s’employer à améliorer la situation des femmes et des filles. Pour y parvenir efficacement, la communauté sanitaire mondiale doit développer des approches intégrées de l’élimination des maladies. Les programmes de lutte contre les MTN doivent s’engager dans d’autres programmes de santé. Les scientifiques kenyans, par exemple, ont introduit des kits de dépistage du COVID-19 et du paludisme fabriqués localement.
Nous devons également explorer différentes méthodes de traitement. Par exemple, plusieurs MTN, dont l’onchocercose et la filariose lymphatique, sont traitées par l’administration massive de médicaments tels que l’ivermectine et le citrate de diéthylcarbamazine. Mais ces médicaments ne sont pas considérés comme sûrs pour les femmes enceintes (pour l’ivermectine, les preuves du profil de sécurité du médicament pendant la grossesse sont insuffisantes). Nous devons donc explorer d’autres méthodes.
Les chercheurs doivent donner la priorité aux pays à revenu faible ou intermédiaire, appliquer une optique de genre et d’intersectionnalité, inclure des données ventilées par sexe et par genre, et inclure le personnel des services sociaux.
Expérience de travail et conseils
Pendant mes études supérieures et au début de ma carrière de scientifique en génétique, je n’ai jamais ressenti de discrimination en tant que femme. En fait, les doctorants de sexe féminin constituaient la majorité dans le laboratoire où j’ai fait mon doctorat à l’Université McGill. J’ai trouvé très inspirant d’être entourée de jeunes femmes passionnées, dévouées et brillantes. De même, lorsque j’ai commencé en tant que chercheur en début de carrière, j’ai observé la même tendance.
Cependant, j’ai vite compris que la parité entre les sexes était atteinte aux postes subalternes, mais qu’elle diminuait progressivement à mesure que l’on avançait dans la carrière. Travailler dans le domaine de la science et du développement est très compétitif et, pour réussir, il faut parfois faire des compromis avec sa vie personnelle. Pourtant, les femmes choisissent souvent d’équilibrer leur carrière et leur vie personnelle. Cela peut être un défi, mais il est toujours possible de concilier les deux, surtout si les environnements professionnel et personnel sont favorables.
Par Ruth Douglas.
Cet entretien a été repris du site SciDev.net.