Le rôle des femmes dans la science, par Michel Spiro, président du comité directeur de l’IYBSSD.
En tant qu’ancien président de la Société française de physique et actuel président de l’Union internationale de physique pure et appliquée (IUPAP), pourriez-vous nous donner votre avis sur l’état des lieux et sur les actions nécessaires pour améliorer l’égalité des sexes et la diversité dans le domaine de la recherche et de l’innovation en physique ?
La physique a une longue et honorable tradition de participation des femmes qui ont apporté des contributions significatives et hautement créatives au domaine. Toutefois, le pourcentage de femmes physiciennes reste faible. Il est de plus en plus évident que les carrières scientifiques sont fortement influencées par des facteurs sociaux et culturels et ne sont pas déterminées uniquement par le mérite. La recherche de l’excellence qui unit tous les scientifiques peut être maintenue et renforcée en augmentant la diversité de ceux qui la pratiquent (à la fois en termes de sexe et de territoires d’origine). Les grandes découvertes se nourrissent de la diversité interculturelle. Pour atteindre cette diversité, il faut revoir les critères d’évaluation de l’excellence, en s’affranchissant des perceptions culturelles du talent et de la promesse.
Les données actuellement disponibles sur le nombre relatif et le parcours professionnel des femmes et des hommes dans les sciences révèlent une discrimination généralisée : l’accès à la profession, comme les études supérieures, l’embauche, la promotion et le financement, n’est pas toujours indépendant du sexe. La discrimination peut être subtile ou involontaire, mais elle crée une atmosphère non propice qui non seulement décourage et afflige les femmes, mais les éloigne également du domaine. Une telle discrimination ne peut que nuire à la profession.
Les systèmes actuels de recrutement, de formation, d’évaluation et de récompense empêchent souvent la participation égale des femmes. Les mécanismes formels et informels qui sont effectivement discriminatoires ont peu de chances de changer sans intervention. L’IUPAP assume depuis longtemps la responsabilité de mettre en œuvre des stratégies au sein de sa propre organisation pour améliorer la situation et augmenter le nombre de femmes physiciennes. L’IUPAP s’engage non seulement à introduire des changements dans sa propre structure, mais aussi à encourager l’adoption de politiques par les institutions, les sociétés scientifiques, les agences de financement et d’autres acteurs clés de l’effort scientifique qui peuvent permettre aux femmes de réussir dans les structures existantes de la physique et permettre à l’acceptation souhaitée de la diversité de se développer pleinement.
Pour atteindre ces objectifs, l’IUPAP a élaboré une charte (la charte de Waterloo), largement inspirée de la charte pour l’égalité des sexes élaborée par la Société française de physique, afin d’améliorer l’égalité des sexes en physique. Un ensemble de politiques, d’actions et de recommandations relatives à la discrimination positive, aux parcours de carrière et aux politiques institutionnelles est présenté dans les informations complémentaires.
Nos principes directeurs sont les suivants
- Les personnes de tous les sexes sont également capables de faire de l’excellente science et méritent l’égalité des chances ;
- La diversité contribue à l’excellence scientifique, de sorte que la pleine participation des personnes de tous les sexes renforcera l’excellence dans le domaine de la physique ;
- La réflexion et l’action sont nécessaires pour garantir une participation égale pour tous ;
- La réalisation de l’égalité des chances doit être mesurée par les résultats. Ainsi, tant que le pourcentage de femmes au niveau d’avancement suivant n’est pas égal au pourcentage dans la réserve, on ne peut pas considérer que l’égalité des chances existe ;
- Les changements à long terme nécessitent une évaluation périodique des progrès accomplis et une action conséquente dans les domaines où des améliorations sont nécessaires.
L’IUPAP s’engage à mettre à jour et à diffuser cette liste en permanence. L’IUPAP conseille vivement aux sociétés de physique de ses pays membres de respecter les principes de cette charte et d’encourager l’adoption des politiques recommandées en les adaptant aux particularités de leur propre pays.
Quel rôle joue l’IUPAP – que vous représentez – dans l’élaboration de la politique mondiale d’égalité des sexes dans les sciences en général et, en particulier, dans le domaine de la physique. Quelles sont les décisions politiques les plus importantes en matière d’égalité dans la recherche qui ont déjà été mises en œuvre, et celles que vous considérez comme importantes à mettre en œuvre à l’avenir.
La mise en œuvre de la charte de Waterloo de l’IUPAP pour l’inclusion et la diversité des genres en physique est l’une de ses priorités.
Conférences parrainées par l’IUPAP
L’activité principale de l’IUPAP est le parrainage de conférences. Toutes les conférences parrainées par l’IUPAP sont tenues de soumettre des formulaires contenant des informations sur la répartition par sexe des participants, des conférenciers invités et des comités d’organisation. Cela se fait depuis 2015, nous commençons donc à dresser un tableau au fil du temps, avec 115 dossiers à analyser. Dans l’ensemble, il y a lieu d’être optimiste : les statistiques s’améliorent, les physiciens sont de plus en plus sensibilisés à ces questions, même si cela se fait très lentement, la pertinence de ces indicateurs peut être remise en question et il reste encore beaucoup à faire.
Prix scientifiques de début de carrière
Les prix pour jeunes scientifiques décernés chaque année par chaque commission, avec une limite d’âge, ont récemment été transformés en prix pour jeunes scientifiques en début de carrière afin de tenir compte des interruptions de carrière et d’être ainsi plus inclusifs.
Gouvernance de l’IUPAP
La gouvernance « au jour le jour » de l’IUPAP est assurée par le Conseil exécutif et les présidents des commissions. Une étape importante a été franchie dans le pourcentage de femmes dans ces instances. Nous atteignons maintenant 40%, ce qui n’était pas du tout le cas dans le passé. Gillian Butcher est l’une de nos quatre vice-présidents ayant une responsabilité particulière en tant que championne de l’égalité des sexes de l’IUPAP. La plupart des informations présentées ici proviennent d’elle.
Selon vous, quels sont les nouveaux défis liés à l’évolution rapide de la société pour garantir l’égalité, l’équité, la diversité et l’inclusion des femmes et des hommes dans la recherche ?
L’écart entre les hommes et les femmes est encore très important dans la plupart des domaines des STIM. À cet égard, l’enquête mondiale sur les physiciens, menée en 2009-2010 auprès de 15 000 répondants de 130 pays, a fourni des informations très utiles. Elle a révélé des différences entre les sexes en matière de ressources, d’opportunités professionnelles et de responsabilités familiales. Des différences entre les régions et les pays ont également été observées. La situation nécessite toutefois un suivi régulier afin de concevoir les meilleures stratégies et de les mettre en œuvre.
Bien que le groupe de travail de l’IUPAP sur les femmes en physique, établi dès 1999 sous la direction du président de l’IUPAP Burton Richter, ait été conscient de ce besoin, la réalisation d’une nouvelle enquête nécessitait des fonds qui ne sont pas toujours disponibles. Le programme de subventions internationales introduit en 2016 par le Conseil international de la science (à l’époque ICSU) a fourni une excellente occasion d’obtenir ces fonds. Dans cette optique, le groupe de travail s’est associé à l’Union mathématique internationale (UMI), à l’Union internationale de chimie pure et appliquée (IUPAC) et à d’autres unions scientifiques pour mener à bien le projet intitulé « A Global Approach to the Gender Gap in Mathematical and Natural Sciences : How to Measure It, How to Reduce It».
Le projet a reçu un financement de l’ISC pour la période 2017-2019 et a été réalisé avec la coordination de Mme Marie-Françoise Roy (IMU), Mme Mei-Hung Chiu (IUPAC) et Mme Igle Gledhill (IUPAP). Il se poursuit maintenant avec le soutien de ses 11 partenaires internationaux, dont l’IUPAP. Les échanges très fructueux entre les disciplines ont permis de définir d’autres tâches que la réalisation de l’enquête.
Enfin, afin de promouvoir l’égalité des sexes dans les sciences, un certain nombre d’organisations internationales qui ont participé à l’enquête GENDER GAP IN SCIENCE susmentionnée souhaitent agir ensemble pour promouvoir cet objectif en poursuivant et en élargissant le travail accompli jusqu’à présent, en particulier en soutenant l’égalité d’accès des femmes et des filles à l’enseignement scientifique, en favorisant l’égalité des chances et de traitement pour les femmes dans leur carrière. À cette fin, ils ont créé un comité permanent pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans le domaine des sciences (CPES) en septembre 2020.
Quel impact les activités de l’IYBSSD, en termes d’équité entre les sexes, de diversité et d’inclusion, peuvent-elles avoir sur les politiques en matière de sciences fondamentales et sur l’amélioration de la culture de travail existante, ainsi que sur les conditions de travail et les carrières des chercheurs ?
À titre d’exemple d’action dans le cadre de l’Année internationale des sciences fondamentales pour le développement durable, l’Union internationale de chimie pure et appliquée (IUPAC) supervise le petit-déjeuner mondial des femmes (GWB) en 2022 et 2023. L’objectif est de célébrer les réalisations des femmes dans les sciences et d’inspirer les jeunes générations à poursuivre des carrières scientifiques. Le Global Women’s Breakfast est un événement qui a lieu un seul jour en février de chaque année. Il invite les femmes et les hommes de tous les types d’organisations scientifiques à se réunir pour partager un petit-déjeuner, soit virtuellement, soit en personne, selon la situation.
Un autre objectif clé est d’établir un réseau d’individus pour aider à surmonter les obstacles à l’égalité des sexes dans les sciences. Le GWB aide à faciliter cela au niveau local, mais aussi à l’échelle nationale et internationale. Ils commencent à planifier dès maintenant le #GWB2023 qui a eu lieu le 14 février 2023, afin de combler le fossé entre les sexes dans le domaine des sciences.
En 2023, il s’agira de « briser les barrières dans les sciences » en incluant des groupes de tous les domaines scientifiques dans le cadre de l’Année internationale des sciences fondamentales pour le développement durable afin de renforcer le réseau professionnel entre les disciplines et à travers le monde.
D’autres événements sont envisagés. D’une manière plus générale, l’IYBSSD entend promouvoir l’esprit de collaboration, l’ouverture, l’équité, la diversité et l’inclusion dans toutes les sciences fondamentales. Les grandes collaborations peuvent être un banc d’essai avec des indicateurs, pour suivre les progrès dans ces directions.
Quelle est votre opinion sur le rôle des associations de femmes scientifiques dans l’élaboration d’une politique d’égalité entre les femmes et les hommes. Quelles actions vous semblent les plus appropriées pour assurer une collaboration plus efficace entre les associations de femmes scientifiques et les responsables de la politique scientifique ?
Le rôle des associations de femmes scientifiques dans la création d’une politique d’égalité entre les femmes et les hommes est essentiel. Femmes & Sciences en France joue un rôle décisif dans la promotion des sciences auprès des jeunes femmes, dans la promotion de l’égalité des sexes et dans la constitution d’un réseau influençant les responsables de la politique scientifique.
La Plate-forme européenne pour les femmes en sciences (EPWS) a la même ambition au niveau européen, ainsi que les unions internationales au niveau mondial. De mon point de vue, il convient de rendre un hommage particulier à Claudine Hermann, qui a joué un rôle déterminant dans la création de Femmes et Physique à la Société française de physique, de Femmes & Sciences en France et de la Plate-forme européenne pour les femmes en sciences en Europe. Elle nous manquera beaucoup.
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