Un entretien avec Laure Saint-Raymond et Arnaud Guillin, directeur et directeur exécutif du nouvel institut.
Vous êtes directrice et directeur exécutif du nouvel “Institut des Mathématiques pour la Planète Terre” – IMPE. Quelles sont les mathématiques pour la planète Terre ?
Nous ne savons pas s’il existe réellement une délimitation précise des mathématiques pour la planète Terre.
Notre conviction (en tant que mathématiciens !) est que les mathématiques offrent un cadre abstrait pour mieux comprendre les systèmes complexes. Les outils sont divers : statistiques, probabilités, analyse asymptotique, systèmes dynamiques, équations aux dérivées partielles, théorie des jeux… et nous n’avons pas d’idées préconçues sur les méthodes qui devront être utilisées pour décrire au mieux notre environnement physique (climat, océans, atmosphère, glaciers, …), les différents écosystèmes biologiques et leurs interactions avec les humains.
Mais la collaboration entre mathématiciens et scientifiques d’horizons différents ne peut être que fructueuse, pour faire avancer la modélisation, la compréhension théorique des modèles, leur simulation… et aussi pour imaginer de nouvelles mathématiques !
Quel est l’objectif de ce nouvel institut ?
L’objectif de l’institut est de donner un cadre à ces collaborations (dont il existe déjà de nombreux exemples individuels) et de créer une communauté multidisciplinaire avec une réelle cohérence autour d’un projet à fort enjeu sociétal.
La communauté scientifique est traditionnellement organisée en fonction des disciplines, et il est important que chaque chercheur conserve une forte expertise dans une discipline. Mais il est également important d’avoir des références communes afin d’avancer ensemble. L’idée est donc de proposer une formation continue pour les chercheurs qui veulent s’impliquer dans le projet, par le biais d’écoles et en co-encadrant des étudiants (doctorants, post-doctorants, …) sur des projets de recherche liant intimement les mathématiques et au moins une autre science.
Quelles sont les organisations qui le soutiennent ?
Pour le moment, les institutions qui portent ce projet sont le CNRS (le principal organisme de recherche français) et ses instituts thématiques — plus précisément, les mathématiques, l’écologie et l’environnement, la physique et les sciences de l’univers — ainsi que l’École Normale Supérieure de Lyon et plusieurs universités (Université Clermont Auvergne, Université Grenoble Alpes, Université Claude Bernard Lyon 1, Université Jean Monnet Saint-Etienne, Université Savoie Mont-Blanc).
Mais à terme, l’institut a une vocation nationale et devrait fédérer d’autres universités et instituts de recherche comme INRIA (sciences numériques), l’INRAE (agriculture) ou l’INSERM (sciences de la santé). Nous souhaitons que l’administration soit la plus légère possible et que tous les efforts soient concentrés sur la dynamique scientifique.
Ce n’est pas la première initiative qui promeut les mathématiques pour la planète Terre. En 2013 par exemple, l’IMU, l’ICIAM et l’UNESCO (entre autres) ont lancé l’initiative « Mathématiques pour la planète Terre 2013 ». C’était il y a près de dix ans ; je suppose que vous avez tiré des enseignements utiles de cette expérience.
Le projet est né en partie des travaux qui avaient été réalisés par l’INSMI lors de l’année des Mathématiques de la Planète Terre en 2013 (soutenue par l’Agence Nationale de la Recherche).
Cette initiative a permis d’identifier un certain nombre de collaborations interdisciplinaires autour de ces thèmes, et de faire un état des lieux aboutissant notamment à un grand rapport (qui est malheureusement resté assez confidentiel) et à une série de petits articles de vulgarisation “Brèves de maths” qui connaît un grand succès.
L’IMPT veut garder cette mission de diffusion scientifique et s’est engagé dans une collaboration avec le Musée des Confluences à Lyon. Mais il va plus loin dans la mesure où il veut aussi être un lieu d’échange et de formation pour les chercheurs, pas seulement un observateur mais un véritable acteur de la recherche.
Est-ce qu’il y a une coordination au niveau international entre votre initiative et des initiatives similaires dans d’autres pays ? Pensez-vous que l’ICIAM par exemple pourrait jouer un rôle à cet égard ?
Il existe bien sûr des recherches sur le climat dans le monde entier, et des programmes thématiques qui favorisent les collaborations interdisciplinaires. Mais nous avons connaissance de très peu d’initiatives similaires centrées sur les mathématiques et transversales (physique – géophysique – biologie – économie) à l’étranger.
Pour l’instant, l’institut est ambitieux dans ses objectifs mais relativement modeste dans sa taille (il financera entre 5 et 10 projets de collaboration chaque année). Il sera certainement amené à se développer à l’avenir. Pour cela, le conseil scientifique – qui a été soigneusement choisi – sera un atout majeur. Les collègues qui y siègent, en plus de leur expertise dans diverses disciplines, représentent une ouverture vers d’autres réseaux : Centre météorologique européen, GIEC, Programme mondial de recherche sur le climat… mais aussi aux fondations privées qui créent des chaires.
Nous espérons que les sociétés scientifiques et les unions internationales de chercheurs sauront se saisir de cette dynamique et favoriser l’émergence et la reconnaissance de cette communauté interdisciplinaire au niveau international.
Comme on peut le voir avec la pandémie ou le changement climatique par exemple, les résultats de la modélisation mathématique sont politiquement au cœur de la mêlée. L’IMPT est donc susceptible d’être sollicité pour participer au débat public sur ces questions de très grande importance. Il s’agit là d’un rôle tout à fait inhabituel pour un mathématicien.
Il est important que sur ces sujets, le débat public puisse être éclairé par de véritables arguments scientifiques. C’est essentiel pour la démocratie : sinon, nous ne sommes pas dans un dialogue constructif mais dans une lutte d’influence.
Le mathématicien a une capacité particulière à résumer les données d’un problème, et à mettre en œuvre un raisonnement fondé sur la logique. D’une manière générale, le scientifique n’est pas là pour prendre des décisions à la place des politiques, ni pour dire à chacun ce qu’il doit penser, mais pour donner le plus objectivement possible tous les éléments à prendre en compte.
Pour garder sa crédibilité et la confiance de la société, le scientifique doit aussi être clair sur les incertitudes, les marges d’erreur, etc., et ne pas s’aventurer sur des sujets qui sortent de son champ de compétences : un autre intérêt à l’émergence de structures pluridisciplinaires avec une réflexion collective !
Propos recueillis par David Lannes
Cet article a été initialement publié par l’ICIAM.