Luiz Davidovich, président de l’Académie brésilienne des sciences, défend « avec acharnement » la cause des scientifiques au Brésil, tout en demandant aux autorités de donner la priorité à la science, à la technologie et à l’innovation, dans le pays.
Sur la base de votre expérience en tant que chercheur, professeur et président de l’ABC, comment la rareté des ressources constatée aujourd’hui dans la science brésilienne affecte-t-elle la carrière des jeunes scientifiques du pays ?
La situation que nous vivons aujourd’hui est celle d’un découragement de l’activité scientifique. Ironiquement, cela se produit en plein milieu de la pandémie, alors que la population voit que la science est très importante pour lutter contre le coronavirus et sauver des vies. Ici, au Brésil, des laboratoires issus des domaines les plus divers ont modifié l’orientation de leurs recherches pour contenir la Covid-19. Nous avons vu des centres d’ingénierie créer des respirateurs plus puissants et plus abordables, des chercheurs en science des matériaux fabriquer des masques plus efficaces… Tout cela au bénéfice de la population.
Exactement dans cette période, nous avons subi des coups qui vont des coupes budgétaires aux discours de déni et aux fake news. Cela décourage les jeunes chercheurs, et beaucoup d’entre eux quittent le pays en raison du manque d’incitations à la science et à l’innovation de la part du gouvernement central. Cela m’inquiète beaucoup car nous avons besoin d’eux. Ils sont l’avenir de la science au Brésil.
N’est-il pas contradictoire qu’une coupe de cette proportion soit faite à la demande du ministère de l’économie à une agence qui peut générer plus de gains pour le pays ? Cette réduction pourrait-elle aussi se traduire par des pertes économiques ?
Si vous comprenez que l’économie brésilienne doit être contemporaine, basée sur la production de produits de haute technologie et de connaissance, oui, c’est contradictoire. Je crois que ce malentendu est le résultat d’une vision à court terme et à courte vue. Pour comprendre comment la science fonctionne à long terme, il suffit de s’arrêter et de penser aux grandes institutions scientifiques telles que la Fondation Oswaldo Cruz et l’Institut Butantan, qui ont été fondés respectivement en 1900 et 1901. Je voudrais également faire remarquer que le ministère de l’Économie n’est pas le seul à être impliqué dans cette décision – et il est bon de rappeler quelles sont les responsabilités.
Les budgets soumis au Congrès sont définis par le conseil budgétaire, sorte de triumvirat auquel participent le ministère de l’économie, le secrétaire du gouvernement et la maison civile. Ces deux derniers font partie du Palais du Planalto et ajoutent deux voix à ce triumvirat. Même si la suggestion de modifier le PLN 16 [un projet de loi qui visait à verser 690 millions de R$ au CNPq] est venue du ministère de l’Économie, j’imagine qu’elle est passée par le conseil budgétaire. C’est pourquoi la communauté scientifique en appelle non seulement au ministre de l’Économie, Paulo Guedes, mais aussi à Ciro Nogueira [ministre en chef de la Maison civile] et à Flávia Arruda [ministre en chef du Secrétariat du gouvernement du Brésil]. C’est cette triade qui détermine le budget du pays – et en réduisant la science et la technologie, elle détruit notre avenir.
À votre avis, quelles autres mesures ont menacé le développement de la science brésilienne ?
Nous avons déjà parlé d’une contradiction, évoquons maintenant d’autres mesures. Au début de l’année, le Parlement a approuvé à une large majorité un projet de loi [177/2021] qui interdit la restriction du Fonds national pour le développement scientifique et technologique [FNDCT]. Le Président de la République a toutefois opposé son veto. Le projet de loi est revenu au Congrès, qui a annulé le veto présidentiel et a promulgué la loi qui empêchait le blocage des ressources de ce fonds. Mais cette décision a été pratiquement annulée en raison de ce qui s’est passé peu après. Dans la précipitation, le gouvernement a envoyé au Congrès une proposition d’amendement constitutionnel [PEC] qui a été approuvée le même jour et a déterminé que l’excédent de tous les fonds serait transféré au Trésor à la fin de l’année.
Cela va à l’encontre de l’objectif du FNDCT, dont l’excédent doit être automatiquement reporté sur l’année suivante. C’était le premier coup dur. Le second est venu avec un changement soudain de la loi d’orientation budgétaire qui permet de restreindre les ressources du FNDCT. Cela génère de l’instabilité et un manque de confiance dans la loi. Après tout, laquelle sera suivie ? Que se passera-t-il demain, dans la nuit ? Il s’agit d’une incertitude juridique et d’une insécurité quant à l’avenir durable du pays.
Comment des investissements pourraient-ils porter leurs fruits au Brésil ?
Abritant 20% de la biodiversité de la planète, notre pays pourrait être une locomotive en matière de bioéconomie. Nous pourrions produire et exporter des médicaments fondés sur des substances extraites de plantes indigènes, ajoutant de la valeur à notre balance commerciale et favorisant la population. Un exemple en est la bergénine, glycoside au pouvoir anti-inflammatoire et antioxydant présent dans le fruit et la tige de l’uxi-jaune, plante médicinale amazonienne. Au Brésil, le laboratoire Merck vend le milligramme de bergénine pour environ 1 000 R$, montant 8 000 fois supérieur au milligramme d’or. En d’autres termes, la biodiversité est notre or.
C’est pourquoi nous devons lutter contre la déforestation et les incendies, qui détruisent la source de richesse des prochaines générations et modifient notre climat. Un autre programme scientifique et économique qui serait un excellent investissement pour le Brésil est celui des énergies renouvelables. Nous devrions investir beaucoup plus dans les énergies solaire et éolienne, non seulement pour un usage domestique mais aussi pour l’exportation. Les nanotechnologies et les biotechnologies sont d’autres domaines prometteurs. Bref, nous avons beaucoup à faire dans ce pays, mais malheureusement, ceux qui contrôlent notre politique économique nationale ne le voient pas.
Par Larissa Lopes, magazine Galileu
Cette interview a été initialement partagée par l’Académie brésilienne des sciences.